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L'HISTOIRE POUR TOUS

Ecrire et faire aimer l'histoire

L’Histoire pour Tous N° 25 : Le Meurtre d’un Enfant Otage à Cogny en 1590

L’Histoire pour Tous.

 

Bienvenue

 

L’Histoire pour Tous N° 25 : Le Meurtre d’un Enfant Otage à Cogny en 1590

 

Ce n’est pas hélas, d’aujourd’hui que date le chantage atroce au meurtre des otages ou, plus odieux encore, leur meurtre par déception de ne pas avoir obtenu d’argent. Je vous en donnerai un vrai exemple.

 

Le Village de Cogny

 

C’est fait se dérouler proche du petit village de Cogny (Rhône, Beaujolais), cette vaste commune à deux lieux de Villefranche-sur-Saône, qui monte des vignes des bas coteaux jusqu’à la forêt des sommets.

 

À mi-hauteur se trouvent les maisons du Hameau Duchamp, ainsi nommé d’une très ancienne famille, qui s’éteignit en ligne masculine au 15e siècle, mais dont le nom fut relevé par des héritiers, par les femmes, les Carras qui changèrent de nom à cette occasion, le Hameau Duchamp était désormais habité par de nouveau Duchamp.

 

C’est chez ceux-ci que ce passe en 1590, la tragique affaire que j’évoquerai. Mais auparavant, rappelons brièvement cette sombre époque.

 

Le Protestantisme, inauguré par Luther en 1517, amena des réactions sanglantes d’attaque et de défense qui se transformèrent en Guerre Civile de 1562 à 1598, entrecoupée d’armistices baptisés « Paix », ce qui permit de compter entre huit Guerres Civiles successives.

 

La dernière, qui fut marquée par l’assassinat du dernier roi de la dynastie des Valois : Henri III, le 1er août 1589, lequel, d’après la loi des anciens Francs Saliens, déjà appliquée pour la succession de Charles IV en 1328, n’avait d’autre que successeur légitime, qu’un arrière cousin Protestant, dont il est aussi son beau-frère, déjà roi de Navarre, qui n’est autre qu’Henri IV. Mais une Sainte-Union Catholique ou Ligue, déjà organisée depuis 1576, reprit les armes sous le commandement du Duc de Mayenne, frère du Duc Guise ; ce dernier avait été assassiné par ordre du roi Henri III à la fin de 1588. Cette guerre se termina par l’abjuration d’Henri IV, l’acquisition par lui de la ville de Paris en 1594, la Paix de Vervins et l’Édit de Nantes.

 

Durant cette guerre, la France avait été parcourue par les troupes des deux partis, Royaliste et Ligueur, qui n’étaient trop souvent que des pillards vivant brutalement sur les pays traversés.

 

 

Déjà en 1575, une trentaine d’hommes du Capitaine Saupiquet, descendant des maison de La Varennes en direction de Ville-sur-Jarnioux, et mettant les habitations au pillages, exigèrent 4 écus aux habitants du Hameau Duchamp, faute de quoi, ils répandraient le vin des malheureux viticulteurs, qui transigèrent en payant 7 testons de roi, c’est à dire à peu près la moitié. Un peu plus loin, au Mas de Régny, une autre bande n’hésita pas à tirer sur le Baron de Montmelas, qui l’interpellait. Il n’a pas été fait une statistique de toutes les alertes, mais je puis encore vous en citer une, cinq mois avant la tragédie : le passage à Cogny du Capitaine Polloce, un Ligueur du Marquis de Saint-Vidal, lequel Capitaine voulait rançonner la région. Mais les habitants de Jarnioux, Liergues, Montmelas et Poully-le-Monial, étant venus se joindre à ceux de Cogny, réussirent à effrayer les soldats, qui se débandèrent et fuyèrent, abandonnant même leurs armes et leurs chevaux.

Dessin de Jacques Callot : Le pilliage d'une cuisine

 

Hélas, le 12 septembre 1590, nouvelle alerte, cette fois plus grave et je vais laisser la parole au plaignant, en transcrivant sa déclaration, aussi peu modernisée que possible.

 

« L’an 1590 et le 13e jour du mois de septembre, après-midi, par-devant nous, Guillaume Thomasson, prévôt de nos seigneurs les maréchaux de France au pays du Beaujolais et en présence de notre greffier, s’est présenté Estienne Duchamp, laboureur de Cogny, qui nous a dit que :

 

Le jour d’hier mercredi, sur l’heure des vêpres, vint loger en ladite paroisse de Cogny la compagnie du Capitaine La Collonge, conduite par le Capitaine La Rochette, son lieutenant, gens de cheval, au nombre desquels vont loger en la maison dudit Duchamp ; trois soldats avec trois chevaux et quatre goujats (c’est à dire des valets d’armes) lesquels, arrivant en la maison dudit Duchamp, trouvèrent Philippine Picard, sa femme, à laquelle ils dirent, qu’il fallait des vivres et 10 écus, laquelle leur fit réponse, qu’elle leur ferait la meilleur chose qu’elle pourrait selon leur pauvreté.

 

Comme de fait, elle leur fit apporter trois cruches de terre remplie de vin de la teneur de douze pot, et leur mit encore un jambon de lard avec autre choses pour leur réfection, et du pain en bon nombre. Et ainsi repus, ils entamèrent de demander les 10 écus, ainsi comme ladite Philippine, sa dite femme, lui a rapporté, et non content de cela, encore que Pernette Duchamp, mère dudit Duchamp (c’est Pernette de La Saulzée, femme de Georges Carras dit Duchamp, receveur des tailles en 1588) leur ait baillé 1 écu et 20 sols, ne laissèrent de rompre et de briser les serrures des coffres et portes, ensemble rompirent et brisèrent les champtuts et buffets étant dans la chambre chauffière de ladite maison, piquèrent avec un pic le pavé de ladite chambre, disant à ladite Philippine qu’il fallait trouver la cachette de ladite maison ou bailler ladite somme de 10 écus, et cherchèrent tant enfin qu’ils trouvèrent un plein sac de contrats, tant de parchemin que de papier, lesquels ils mirent dans le feu et les brûlèrent, ce qui est un grand préjudice audit Duchamp.

 

Et davantage dit que le soir dudit jour de mercredi, icelle Picard, ayant entre ses bras un sien petit-fils nommé Georges, âgé de 8 mois ou environ, un desdits soldats étant venu près d’elle jouer avec ledit enfant, lequel ladite Philippine le mit coucher avec elle, et sur la minuit, se leva pour le changer et de mettre au berceau, à cause qu’il criait. Et comme elle l’y mettait survint un susdits soldats, bien connu d’elle, qui lui apportait du feu pour l’éclairer, afin qu’elle vit pour le mettre audit berceau, dans lequel il demeura jusqu’au soleil levé du jeudi après suivant, qui est le jourd’hui, date des présentes, en présence de ladite Pernette Duchamp, sa mère (en réalité sa belle-mère) et Estiennette Decourt, leur chambrière (sans doute une nièce), en présence desquelles ce dit jour, date des présentes, ladite Philippine changea ledit Georges son fils, et après le mit audit berceau en la chambre haute de ladite maison, de crainte que les bêtes ne le gâtassent et que autres inconvénients ne lui advint.

 

Et cela fait, en la présence aussi desdits soldats, lesquels dirent à ladite Philippine et à sa dite belle-mère, que par mort-Dieu il fallait des vivres et 6 écus, ou qu’elles lui amenassent un bœuf. Laquelle Philippine, femme dudit dénonçant, et sa dite mère, remontrèrent auxdits soldats qu’elles n’avaient le moyen de trouver une telle somme d’argent, à cause de leur pauvreté advenue par les fréquents passages et voleries des soldats qui passent et repassent en ladite paroisse et en ledit pays.

 

Ce que voyant, lesdits soldats chassèrent ladite Philippine, sa dite mère et la chambrière à coup de pierre, hors de ladite maison, et elles furent contraintes de s’absenter de la maison.

 

Et sur les 8 ou 9 heures du matin, le dit laquai ou goujat, voyant ladite Philippine qui revenait en ladite maison, lui dit : « Viens soudain si tu veux arce que ton enfant est mort », et disant ces propos, tous les soldats étant présent tremblaient de crainte.

Et étant dans la maison, ne pouvant croire, elle alla soudain dans la chambre haute, où elle avait mis son fils, et y étant elle ne pouvait trouver sur le lit, où elle l’avait mis, parce qu’elle trouva la paille et le lit tous sens dessus dessous, et ayant beaucoup chercher, trouva ledit berceau avec son fils tourné à l’envers et était par dessus couvert de paille, et l’ayant regardé, trouva qu’il était mort.

 

Ce que voyant, elle se mit à crier alarme, disant que son enfant était mort, et laquelle chambrière se, lesdits soldats, voyant mit à crier à haute voix, voyant ce que dessus : « Mère, venez soudain, parce que l’enfant est mort et ma tante n’en peut plus ».

 

ce que sachant, lesdits soldats, voyant ladite Philippine était entré dans la maison, montèrent à l’instant à cheval et prirent la fuite, auquel lieu de Duchamp abordèrent plusieurs personnes, et ne demandèrent iceux soldats, ni bœuf, ni vivre, ni argent, voyant le meurtre commis et perpétré en la personne dudit enfants, entendant les cris du susdit dénonçant pour le meurtre de son dit fils, qui serait , avec Jean Germain, son voisin, qui était proche de sa dite maison, accouru en la maison de la côté où était logé ledit Capitaine La Rochette pour se plaindre et demander raison du susdit meurtre.

 

Ce que entendant, icelui Capitaine serait surle champ monté à cheval, accompagné de l’enseigne et plusieurs laboureurs de ladite paroisse de Cogny, pour venir prendre les susdits soldats et goujats, et étant en chemin, venant audit lieu Duchamp, ils rencontrèrent ladite Philippine et plusieurs de ses voisines, qui venaient se plaindre dudit meurtre. Auquel Capitaine, elle dit que lesdits soldats s’étaient absentés et enfuis, lui montrant l’endroit du chemin qu’ils avaient pris, lequel Capitaine accourut en cette direction et les devança. Et ayant pris leurs noms, aurait envoyé en ce lieu de Villefranche, le Capitaine Cholyer le Cadet, La Collonge, fils dudit Capitaine en chef, son sergent et plusieurs autres, pour d’iceux soldats être fait justice selon que de droit.

 

Blason de Cogny

 

Laquelle déclaration ledit Duchamp nous a fait, et d’icelle requiert justice sévère être faite et adminisrée, déclarant ne vouloir faire partie civile pour n’avoir moyen de fournir aux frais et actes de tous requis ci-dessus. Lui être octroyé décharge, et néanmoins a requis, attendu que le corps dudit enfant pourrait devenir en putréfaction, qu’il lui soit permis de le faire ensépultrer (inhumer), nous l’ayant au préalable montré. Sur quoi, nous prévôt susdit, avons audit Duchamp octroyé acte de ses dires et déclaration, et ordonné, après que visite dudit corps sera faite, icelui permis de faire ensépultrer et que tout sera informé par notre dit Greffier soussigné, diligemment pour après sur le tout être procédé comme nous verrons bon être. Et a déclaré ledit Duchamp ne savoir signer de ce requis.

Signature de Thomasson. »

 

En résumé, par suite de l’expulsion de la famille de sa maison par les soldats qui n’avaient pas obtenu satisfaction de leurs exigences, l’enfant s’était trouver l’otage de ceux-ci depuis le lever du soleil et avait été tué par eux pendant cette séquestration. Affreuse affaire dans une affreuse époque. Heureusement que le bon roi de Navarre allait quelques années plus tard, avoir la sagesse et la force de ramener la paix en France.

 

Quant au jeune ménage Duchamp, il allait vivre encore une soixantaine d’années, ayant eu six autres enfants. L’un des derniers de la lignée masculine, Sieur du petit fief de Corcelles, au-dessus du Hameau Duchamp, deviendra Maire de Cogny en 1802, et l’un de ses fils, après avoir servi l’Empereur, deviendra officier des Gardes du corps du roi, sous la Restauration. C’est ce dernier qui offrit à la nouvelle église de son village, sa belle chaire en bois sculpté. Sa tombe est toujours au cimetière actuel de Cogny.

 

Sources :

Archives Bottet-Duchampt

Bulletin de la Société des Sciences et Arts du Beaujolais, 1911, N° 45

Archives de la Ville de Lyon, série AA

Et mes propres recherches personnelles, ou mes enfants descendents dudit Etienne Duchamp.

 

Cazorla Denis

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