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L'HISTOIRE POUR TOUS

Ecrire et faire aimer l'histoire

L'Histoire Pour Tous N° 90 : Être une Sorcière au XIVe Siècle

Être une Sorcière au XIVe Siècle ou la vie tumultueuse de Macete

On associe souvent les sorcières à l'époque médiévale... à tort. Face cachée de la Renaissance, c'est pendant cette révolution considérée comme humaniste, rationnelle et éclairée que la chasse aux sorcières fait rage ! Comme s'il fallait "tuer la femme" pour créer "l'homme moderne"... Mais, pourtant en fouillant les archives du Châtelet de Paris on trouve ceci….

Livre d'heures de Jean de Montauban, France, XVe siècle - Après avoir été chassés du Paradis terrestre, Adam et Eve font pénitence dans le Tigre (ou le Jourdain) et sont tentés à nouveau par le Diable

PARTIE I : Le Grand Amour avec un grand A

Issu d’un registre du châtelet de Paris, le procès de Macette, convaincue de sorcellerie en 1391, nous livre la triste histoire de cette pauvre femme.

À l’âge de 12 ans, la petite Macette, habitant à Rilly-Sur-Vienne (Vienne), fut initiée à la sorcellerie par plusieurs vieilles femmes. Elle apprit entre autre comment une femme pouvait envoûter un homme, avec qui elle avait « commerce charnel », pour le forcer à l’épouser.

Rilly-Sur-Vienne

C’était assez simple : il fallait d’abord disposer devant soi de la cire vierge blanche et de la poix, appeler 3 fois Lucifer, lui dire ce qu’on voulait de lui et pourquoi, puis réciter au-dessus des ingrédients 3 fois l’évangile de Saint Jean, 3 Notre-Père et 3 Ave Maria. Ensuite, on mélangeait les 2 ingrédients et on les disposait à côté du lit. Lorsqu’elle s’y retrouvait nue avec son amant, elle n’avait plus qu’à mettre un peu du mélange sur ses doigts et à en déposer entre les épaules de l’heureux élu en appelant une nouvelle fois Lucifer par 3 fois, lui redisant ce que l’on voulait de lui avant de réciter 3 fois encore les 3 prières : à partir de là, l’homme ferait tout ce qu’elle voudrait…

Quelques années et une vie sentimentale un peu agitée plus tard, Macette, sans doute plus ou moins prostituée, habitait à Paris lorsqu’elle rencontra un certain Hennequin de Ruilly, riche aubergiste de son état.

Elle raconte qu’il « tant fit par ses belles paroles qu’il eut compagnie charnelle avec elle »… Bref, elle fit sans doute beaucoup elle aussi car, 6 semaines plus tard, ils se fiancèrent et promirent mariage.

Hennequin cependant partit en Espagne juste après et y resta 6 mois environ. Pendant ce temps, Macete prit un amant, nommé Guiot de Lisle, à qui elle demanda de lui apprendre à réciter par cœur l’évangile de Saint Jean, qu’elle ne connaissait pas. Elle craignait en effet que son beau et riche fiancé Hennequin, à son retour d’Espagne, « ne fut refroidi des amours qu’ils avaient eu entre eux » et refuse de l’épouser, elle qui n’était fille de rien : au cas où, il fallait pouvoir l’envoûter.

De fait, lorsque Hennequin rentra, il passa la nuit avec elle mais, au matin, quand elle lui demanda « très affectueusement » s’il était toujours disposé à l’épouser, il montra un enthousiasme assez mesuré, « ne lui répondant pas si pleinement et libéralement comme elle eut voulu »

Qu’à cela ne tienne, elle alla à Paris, rue des Lombards (actuels 1er et 4e arrondissements), et y acheta les ingrédients nécessaires à l’envoûtement, comme le lui avaient appris les vieilles sorcières de Rilly-sur-Vienne.

Le soir même, elle attira son fiancé au lit et, attendant qu’il se soit endormi, procéda au charme : appels et demandes à Lucifer, prières et tutti quanti ; elle répéta l’opération 3 nuits de suite.

Figurez-vous que le procédé fut efficace : Hennequin l’épousa peu de temps après dans l’église St-Pierre-aux-Bœufs (aujourd'hui détruite, sur l’île de la Cité) et l’emmena habiter à Guérard (Seine-et-Marne) où il avait sa taverne-hôtellerie.

Les mauvaises langues diront que Macette déploya avec vigueur tout l’éventail de ses charmes pour convaincre Hennequin de l’épouser. Sur d’elle, Macete crois que c’est son ensorcellement qui fonctionna…

Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, MS 1126, f. 66 r

Partie II : L’Amour vache

Avant de partir pour Guérard avec son mari, Macete retourna rue des Lombards pour acheter un peu de cire blanche vierge et de poix : au cas où, ça pouvait toujours servir…

Et de fait, leur vie commune devint vite difficile : aux disputes continuelles s’ajoutèrent bientôt les coups qu’Hennequin faisait pleuvoir sur Macete. Au bout de 4 ans à ce régime, elle décida de mettre en œuvre un nouvel ensorcellement qu’elle avait appris durant sa formation de sorcière, ensorcellement qui rendait les hommes incapables de battre leurs épouses.

Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, MS 1126, f. 66 r

Le procédé était assez simple : il fallait d’abord appeler Lucifer par 3 fois, lui demander son aide, réciter 3 fois l’évangile de Saint Jean, le Notre-Père et l’Ave Maria, puis réaliser une petite tête d’enfant avec le mélange de cire et de poix en renouvelant les incantations. Ensuite, on faisait sur celle-ci 3 signes de croix avec un couteau et on la plaçait dans une poêle remplie d’eau que l’on faisait bouillir et, toujours en renouvelant appels à Lucifer et prières, on tourmentait le mélange avec une cuillère de fer et on le piquait avec le couteau.

Le résultat fut au rendez-vous : à chaque fois que Macete faisait ce sortilège (car elle le fit souvent), Hennequin était pris d’angoisses et de douleurs.

Hennequin était cependant un dur à cuire : malgré les tourments que lui infligeait sa femme, il arrivait encore à la battre et à l’insulter. Qu’à cela ne tienne, elle avait aussi un sortilège pour aggraver son mal : il s’agissait cette fois de prendre 2 crapauds, de mettre chacun d’eux dans un pot de terre neuf et de les nourrir de mie de pain et de lait de femme, toujours bien sûr en appelant moult fois Lucifer et en récitant plusieurs fois les prières habituelles. Il fallait ensuite placer les pots au pied du lit de la personne visée. Lorsque l’on voulait la faire souffrir, il n’y avait qu’à découvrir les pots et, en appelant Lucifer et tutti quanti, piquer les crapauds avec des aiguilles de fer ou des pinces, etc.…

Là, ce fut radical : Hennequin se retrouva cloué au lit avec d’infernales douleurs qui ne lui laissèrent plus le loisir de mal parler ou de battre sa femme. Pour elle, tout allait pour le mieux jusqu’au jour où un ami de son mari, ménestrel de son état, vint lui rendre visite ; voyant l’état d’Hennequin, il arriva à la conclusion qu’il avait été envoûté par une femme. Pour Macete, les ennuis commençaient…

Partie III : Tout finit dans le feu

Le ménestrel affirma à Hennequin qu’il était victime d’un envoûtement devant Lucette, sa mère, et Macete prit immédiatement peur d’être découverte, surtout qu'elle ne savait pas lever les sorts qu'elle avait lancés !

Elle s’employa alors à convaincre sa belle-mère d’aller chercher une certaine Jehanette, devineresse de son état, qui pourrait désenvoûter Hennequin. Lorsqu’elle arriva, Macete la prit à part et lui expliqua la situation et, sous serment de silence, lui avoua la vérité.

Après lui avoir montré comment elle s’y était prise avec les crapauds, elles convinrent de tout mettre sur le dos de Gilete la Verrière, demeurant porte Baudoir à Paris, une ancienne maîtresse d’Hennequin de qui elle avait eu 2 enfants.

Pour s’assurer du témoignage, Macete donna 18 sous d’or à Jehanette, mais celle-ci exigea aussi qu’elle lui enseigne la façon dont elle avait ensorcelé Hennequin pour obtenir le mariage.

Ceci fait, Jehanette alla dans la chambre d’Hennequin et, devant Lucette et Macete, affirma que c’était bien Gilete la Verrière qui l’avait envoûté et qu’elle ferait ce qu’il faut pour lever le sortilège. Son action fut efficace : le malade commença bientôt à recouvrer la santé.

En fait, Jehanette n’avait demandé à Macete la façon dont elle avait envoûté Hennequin que pour d’une part augmenter ses connaissances, mais aussi et surtout, d’autre part, ensorceler un chapelain dont elle était amoureuse pour se marier avec lui.

L’affaire aurait pu en rester là…

Mais si Macete était une femme désormais tranquille, ce n’était pas le cas de Jehanette : embringuée dans de sordides histoires de vols, utilisant la magie et ses conversations avec le diable dans des affaires plus abracadabrantes les unes que les autres, elle finit par se faire attraper et conduite à la prison du châtelet de Paris.

Interrogée par la question (torture), elle avoua tout ce qu’on lui reprochait et dénonça Macete. Celle-ci fut elle aussi amenée au châtelet sous le chef d’inculpation de sorcellerie. Elle aussi avoua tout…

Oxford, Bodleian Library, Ms Douce 195, f. 61 v

Les détails des procès des 2 femmes s’étalent sur plusieurs dizaines de pages : à l’époque, la sorcellerie était un crime pris au sérieux et jugé comme n’importe quel autre, avec moult témoignages, dépositions etc.… Tous ces documents sont particulièrement captivants tant ils éclairent sur les mentalités de l’époque. Ils sont malheureusement trop longs et nombreux pour être rapportés ici.

Après leur long procès, Jehanette et Macete furent convaincue de sorcellerie. Elles furent condamnées à être brûlées vives. On note cependant qu’un des juges n’était pas d’accord avec cette peine : comme elles n’avaient tué personne, disait-il, la peine de mort était excessive ; il s’en suivit de vives discussions, mais la décision de les brûler fut néanmoins prise.

Le jour de l’exécution, elles furent coiffées d’une mitre et amenées sur la place des Halles. Là, on les attacha au bûcher et on les brûla.

Sorcières brûlées à Lausanne SP

Ainsi se termina le vie tumultueuse de Macete.

 

À Nîmes, le vendredi 29 mars 2024

Denis Cazorla y Almería

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