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L'HISTOIRE POUR TOUS

Ecrire et faire aimer l'histoire

L'Histoire pour Tous N° 13 : Journal d'un Aiguesmortais emprisonnait à Nîmes sous la Terreur.

L’Histoire pour Tous.

 

Bienvenu à tous

 

L’Histoire pour Tous N° 13 s’intéresse encore à l’histoire local de la ville d’Aigues-Mortes ; mais cette fois-ci nous sommes dans la période de la Révolution Française qui sévissait dans tout le pays. Cette période qui la concerne est celle 1794-1796, dans les lieux d’Aigues-Mortes, Nîmes, Montpellier, Sommières, Alès et autres lieux.

 

Photo ci-dessus; Aigues-Mortes (Gard).

 

En parcourant les registres du Notaire Jacques Crouzet (1722-1797) d’Aigues-Mortes aux Archives Départementales du Gard à Nîmes, je suis tomber sur un récit de ce dernier, où il racontait sa captivité dans les prisons de Nîmes, durant la période de La Terreur de Robespierre ; en voici sa teneur, où j’ai respecté le français de cette époque-là.

 

Journal d’un Notaire Aiguemortais emprisonnait à Nîmes sous la Terreur :

 

Le 16 ventôse de l’an second de la République Française une et indivisible, c’est-à-dire le 6e mars 1794 (vieux style), il fut expédié un mandat d’arrêt contre moy, et contre Elisabeth Bosse, mon épouse, par les Membres du Comité de surveillance et révolutionnaire de la Société populaire et sans culotte dont la teneur s’ensuit : « Nous membre du Comité révolutionnaire et révolutionnaire de la Société populaire et sans culotte de la commune d’Aiguesmortes, District de Nismes,département du Gard, mandons et ordonnons à tous exécuteur de mendemens de justice, de conduire dans la maison d’arrêt du district de Nismes, le nommé Crouzé père, et la nommée Bosse, son épouse, habitans d’Aiguesmortes, ayant deux fils émigrés, et ne s’étant en aucune façon oposés à leur émigration, déclarés suspects conformément à l’article 2 du décret de la Convention Nationale du 17 septembre dernier (vieux style), n’ayant donné en outre aucune preuve de civisme , le tout en se conformant à la loy, réquérons tous dépositaire de a force publique auxquels le présent mandat sera notifié de prêter main forte pour son exécution, en cas de nécessité.

« A Aiguesmortes le 16 ventôse an second de la fondation de la République (6/3/1794), et ont les membres du Comité signé.

« Brancassy, Planard, Servel, Sabatier, Peyret, Bastide, président, ainsy signés à l’original. Maffiotte secretaire. »

 

Il fut expédié u semblable mandat d’arrêt par le dit Comité contre mon fils aîné, ma fille aînée épouse d’Antoine Esparron, et contre Thérèse mon autre fille, ces trois derniers furent arrêtés et conduits le même jour 6 mars, dans les prisons de cette commune (Aigues-Mortes), et il fut placé dans ma maison deux volontaires pour garder à vue ma femme et moy, après les scellé eut été mis par le juge de paix sur la porte de mon étude.

 

Ces deux volontaires restèrent deux jours dans ma maison où ils étoient nourris, mais fatigué de les voir je demanday après ces deux jours, de me rendre avec ma femme dans les prisons, et de joindre nos enfants, ce que je fis après qu’on m’eut fait payer la somme de dix-huit livres à ces deux volontaires pour lesdits deux jours de gardes.

 

Il fut le même jour expédié par le Comité un mandat d’arrêt contre Marguerite Crouzet ma sœur, qui de suite fut arrêtée et conduite en prison avec mes enfants.

 

Je couchay avec ma famille dans les prisons, et le lendemain 19 ventôse (9 mars), nous partimes tous pour Nismes, ma femme, mon fils, ma sœur et moy sur la charrette du citoyen Laserre, avec quelques mathelas et paliasses, et nos deux filles à cheval ne pouvant point suporter la voiture de la charrette, conduits par le citoyen Rolland, maréchal des logis de l’escadron de Nismes, et deux de sa troupes qui curent pour nous toutes les politesses et complaisances possibles.

 

Nous nous arrestames aux Gouzes (Saint-Laurent-d’Aigouze) et à Milhaud, où nous nous rafraîchimes, les habitans de ces deux communes nous ayant fait mille politesses et témoigné leurs regrets, et nus arrivâmes à Nismes sur les quatre heures de l’après-midy, et nous étant rendus avec nos équipages au devant de la maison d’arrêt des cy devant capucins, nous y fumes suivis d’une grande populasse ui nous offrait leurs services, et témoignant leurs regrets de nos arrestations.

 

Gravure ci-dessus: Le Couvent des Capucins à Nîmes face à l'Esplanade, quidevint une prison lors de la Terreur. Actuellement, il n'existe plus, à sa place, il y a l'Hôtel Atria.

 

Entrés dans la ditte maison d’arrêt nous y fumes écroués et laissés au pouvoir et garde du citoyen Allieu, gardien qui étoit l’un des plus mauvais sujets qui exista dans la république.

 

Entré avec ma famille dans la ditte maison d’arrêt, tous les détenus, ou presque tous, vinrent nous recevoir avec bonté et politesse, et nous offrirent leurs services, nous témoignants beaucoup de regrets de nos arrestations.

 

Il fut question de nous loger ; les deux citoyens Vanel frères (qui ont été depuis guillotinés), vouleurent bien nous céder leur chambre qu’ils n’occupoient que de la veille, et qui se trouvoit assés vaste pour me loger avec ma famille, dans laquelle nous nous établimes, laquelle prenoit jour sur le jardin potager de la ditte maison, et offrait une très belle vue, et étoit fort bien aérée.

 

Il nous manquois des chaisses et un lit, le citoyen Rieutord nous prête un bois de lit, c’est-à-dire trois bancs et quatre planches, et ma sœur de Gas prêta deux chaises et une table de tenailles.

 

On nous servit à souper à nous six dans notre chambre, lequel fut composé d’une salade et d’un quartier d’agneau à la broche, l’ordinaire étoit assés bon, a diné nous avions une soupe et un gros bouly de bœuf ou de veau, et le sir du roty et une bonne entrée de veau ou de bœuf, et une salade ; la Convention Nationale et les administrateurs du district de Nismes, de concert avec le représentant du peuple, avaient taxé l’ordinaire pour chaque détenu à raison de trois livres par jour, que l’on payoist toute les décades au gardien, sans y comprendre le pain qui étoit fourni aux détenus et qui étoit passablement bon, le gardien vendoit le vin à raison de sept sols lepot de Nismes qui est fort petit, tandis qu’il ne valoit en ville que quatre sols le pot, et encorey mettoit-il un sixième d’eau dans celuy qu’il vendoit, ce qui étoit un vol bien caractérisé, s’opposant à ce que les détenus en fissent porter de la ville ou de chès eux, et lorsqu’on en faisoit aporter il étoit confisqué à la porte au profit du dit gardien et de ses satéllites, sans qu’aucun des détenus osa se plaindre, tant le gardien étoit redoutable et creint.

 

Je restay dans ma chambre avec ma famille environ un mois et demy, étant un peu indisposé et crachant le sang. Parfois mon épouse et ma fille aînée y furent indisposées ; et nous y avions très bonne compagnie le matin et le soir, mais Borie représentant le peuple fit un arrêté portant que toutes les femmes détenues dans les maisons d’arrêts de Nismes, seroient traduites et transférées au fort de Sommières ; cet arrêté fut rendue le 20 ou 21 germinal (9 ou 10 avril) ce qui fut causse que le 26e du dit mois (15 avril), je fis une pétition au citoyen ageant national du district de Nismes, de l’avis et conseil de plusieurs détenus de nos amis qui voyoient mon état d’infirmité, et nottament du citoyen Razous médecin de Nismes, détenu ainsy que moi, et tous m’assuroient que ma demende étoit les plus juste, qu’elle seroit acculie et qu’elle ne pouvoit souffrir aucune difficulté.

 

Cette pétition avec la réponse mise au pied d’icelle est cy-après transcrite :

 

« Au citoyen Jacques Crouzet, ancien notaire à Aiguesmortes, âgé de septante-trois ans, détenu actuellement avec toute sa famille dans la maison d’arrêt des cy devant capucins, se trouvant dans un état habituel infirmité, et crachant actuellement le sang, ne pouvant recevoir des secours dans sa vieillesse que des mains de son épouse, âgée de soixante-trois ans, renfermée comme luy, réclame la liberté de continué à vivre avec elle, pour qu’elle puisse luy continuer les soins, à titre de garde malade, il espère d’obtenir cette grace de la justice et de l’humanité des citoyens administrateurs.

A Nismes, le 26 germinal, l’an second de la république française une et indivisible (15/4/1794).

« Crouzet, signé. »

 

« Séance publique du 28 germinal l’an deux de la république une et indivible (17/4/1794).

« Vû la pétition cy dessus.

« Le Conseil, l’agent national entendu. Arrête :

« Qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur la demande du pétitionnaire.

« Labrousse, président, Peyre, secrétaire, » signés. 

Cet arrêté des administrateurs du district fut un coup de foudre pour moy, mais il fallut se soumettre sans oser murmurer, ni se plaindre, mon épouse, mes deux filles et ma sœur partirent le lendemain matin, ma femme et ma sœur sur une charrette avec leurs petits équipages, et mes deux filles sur des montures, et furent conduites par des gens d’armes au fort de Sommières, au nombre de cinquante, mises soit à a maison d’arrêt des cy devant capucins, soit de la citadelle, soit du palais.

 

Cette séparation fut des plus touchantes et des plus douloureuses pour moy;je pronois le lait tous les matins dans monlit que l’une de mes filles, ou ma femme, m’aportoit, Charpot, agriculteur d’Héraclée, cy devant Saint-Gilles, très brave garçon et très pieux, voulut bien se charger de ce soin, et me rendre ce petit service ; pour cet effet il changea son lit dans ma chambre, qui ne fut occupée que par luy, mon fils et moy, et il me rendit exactement ce service jusques à son élargissement qui arriva une vingtaine de jours avant le mien.

 

Le dit Charpot mangea avec moy dans ma chambre ? Il si joignit les deux frères Aguier, Isnard agriculteurs et Pourreau, chirurgien, tous détenus ainsy que moy, citoyen d’Héraclée, cy devant de Saint-Gilles, lesquels avoient mille complaisances pour moy, me regardant comme leur père, et faisant venir de Saint-Gilles des provisions immense de toutes les espèces soit en bois, sarments, légumes, fruits, poissons, pain, vin et viandes, faisant journellement des présens au gardien qui étoit un cerbére, pour qui ne soposa pas à l’entrée de toutes ces provisions.

 

Nous avions mis le cuisinier dans nos intêréts, lequel nous étrennions parfois, et qui venoit souvent souper avec nous, au moyen de quoy nous étions fort bien et faisions bon ordinaire.

 

Cela étoit trop beau pour des détenus, pour que cela dure ; ainsy cela ne durera pas longtemps, puisqu’il ne dura qu’un mois et demy, dans l’intervale duquel Laporte agent national de Saint-Gilles, cy devant curé de cette commune, qui se maria avec la citoyenne Mazer, fille unique de Mazer maire, après l’avoir débauchée, fit conduire par ses menées et celles du maire, son beau-père, quarante nouveaux citoyens de Saint-Gilles, dans la maison d’arrêt de Nismes, parmy lesquels deux Mazer, frère du maire, lequel eut la barbarie de signer leurs mandats d’arrêts, et dont l’un desquels fut peu après guillotiné.

 

Ces deux Caligula, Mazer le maire et laporte, y firent conduire plusieurs citoyennes et entre autre les Baron mère et fille, et la mère et la sœur des citoyens Aguier qui mangeoient avec moy. Il étoit bien juste et bien naturel que ces derniers nous quittassent, pour se joindre à leurs parens et amis, ce qu’ils firent, et dès lors les citoyens de Saint-Gilles se mirent ensemble de dix en dix, et nous restâmes seul mon fils et moy, pour faire l’ordinaire, lesdits Aguier nous ayant laissé un peu de l’huile, un peu de vin et quelques sarments.

Comme un malheur ne vient jamais seul, dans ce même tems il parut un arrête qui fixa la nourriture des détenus à quinze sols par jour seulement, au lieu des trois livres à laquelle elle étoit fixée.

 

Le gardien dit et soutint qu’à ce prix il ne pouvoit pas nourrir les détenus qui augmentoient journellement, et dont le nombre fut porté à trois cent trente-cinq, mais le district ou la commune l’y obligea, ou du moins fit semblant de l’y obliger, et notre ordinaire fut pour lors d’une soupe de choux sans huille, mais cuit dans un peu d’enleveures rances, et une assiette des même choux sans garniture, et cela étoit notre nourriture pour la journée, c’est-à-dire pour le dîner et pour le souper, avec du pain très inférieur à celuy qu’on nous distribuoit cy devant.

 

Le gardien fit prévenir les détenus (car on ne le voyoit jamais), qu’il faisoit faire des plats dans la cuisine pour ceux qui en voudroient en payant, en sorte que ceux des détenus qui avoient quelques assignats, et qui ne vouloient pas mourir de faim, étoient bien forcés d’avoir recours à cette cuisine, ou le tout se vendoit au poids d’or, puisqu’un plat de la moitié d’une mégine d’agneau, se vendoit cinquente sols, et les obergines se vendoeint dix sols chaque, les prunes quinze sols la livre, et ainsy tout le reste.

 

Il est prétendu que Courbis, maire de Nismes qui avoit la confiance de Borie, représentant, et quy étoit despote, et faisoit trembler et le département et le district et la commune, et quy étoit l’âme damnée du gardien, étoit son associé à toutes ces friponneries, ainsy fûmes-nous traîtés comme des criminels.

 

La maison où nous étions étoit extrêmement bien hairée, nous avions un très beau jardin potager pour y promener, en payant au gardien cinq cens livres par mois, entre tous les détenus, nous avions déjà payé un mois d’avance, et nous n’en avions joui que quatorze jours, lorsqu’on le ferma sous le prétexte d’y faire passer et former une rue, en conséquence il fut bâti des murs à grands frais de la hauteur de plus de vingt pieds, et cela pour ôter la vue aux détenus ; toutes les fenestres qui pronoient jour, soit sur les rues, soit sur les basses cours, soit sur l’esplanade, et générallement toutes les fenestres de ladite maison d’arrêt, furent ferrées, et toutes celles qui avoient vue sur l’esplanade et sur les rues furent non seulement ferrées, mais encore elles furent fermées par des abats jours totalement qui empechoient la circulation de l’hair.

 

Ce fut dans ce temps que nous fûmes traité comme de véritables criminels, toutes correspondances nous furent interdites, et nous ne pouvions voir ni parens, ni amis, ni recevoir d’eux aucunes nouvelles, ni aucuns secours ; on nous interdit jusques aux papiers publics.

Les portes d’entrées de la maison furent murées, les murs de basses cours ou nous pouvions aller prendre l’air furent élevés de plus de vingt pieds d’hauteur, et l’on établit un pont pour entrer dans ladite maison.

 

Ce fut dans ce tems qu’il arrivoit des détenus de tous le districts du département, et Courbis, maire de Nismes, fit arrêter et conduire dans la dite maison d’arrêt, dans un seul jour, environ soixante personnes de tout état, tous citoyens de Nismes.

 

Ce fut ce même tems que Aimini, cy devant chanoine d’Héraclée, vint manger avec moy et mon fils, dans ma chambre, heureusement pour nous, parce que sa gouvernante nous faisoit passer furtivement quand elle le pouvoit des vivres, ce quy étoit rare, ayant soupé fort souvent seulement avec un œuf chacun.

 

Ce fut dans ce temps que le tribunal révolutionnaire et sanguinaire jugeoit les détenus ; on les venoit prendre de tems en tems de la maison, tantôt deux, tantôt trois et tantôt quatre, vers les onze heures du matin, ce qui occupoient des chambres étoient pris de préférance, car les autres détenus couchaient dans les courroirs mal seins, et tous ceux qu’on venoit prendre étoient jugés avant-midy et déclarés criminels par le Catilina Giret, (dont l’anagramme de son nom est Tigre), sans entendre ou du moins sans vouloir entendre leurs justes raisons de déffences, et étoient guillotinés sur les trois heures de l’après midy.

 

Gravure ci-dessus : Contrairement à la représentation cette gravure, aucune femme fut guillotinées durant La Terreur à Nîmes.

 

C’est ainsy qu’il périt des trois maisons d’arrêts de Nismes, cent trente-neuf individus, parmy lesquels ceux des détenus aux cy devant capucins, furent Jouve, professeur de mathématique, Genas père, Genas fils, les deux Vanel pères, Vigne père, Augier, d’Alais, Coulomb père, d’Hur, Nesmes ancien maire de cette commune (Aigues-Mortes) et plusieurs autres dont les noms m’ont échappé.

 

Tous les jours d’exécution les juges du tribunal révolutionnaire, l’accusateur public et Courbis maire, venoient dîner avec le gardien, dans la maison d’arrêt cy devant capucins, ou nous étion renfermés, et dans un salon qui avoit été fait exprès, et qui ponnoit jour sur l’esplanade, vis à vis la guillotine, et là l’on chantoit à gorge déployée, et dans le tems que l’on guillotinoit, ils buvoient à la santé de ceux que l’on guillotinoit, et là ils délibéroient, entre eux tous, quels seroient les détenus que l’on feroit conduire au palais pour y être jugés et guillotinés, et quel jour on les y feroit conduire.

 

A peine les détenus étoient-ils condamnés, et avant même leur exécution, les satellites d’Allieu gardien, venoient enlever leurs malles, et tous leurs effets qui étoient renfermés dans leurs chambres, et les emportoient de suite dans les appartements dudit gardien, et là leurs malles étoient visistées, ainsy que leurs portefeuilles lorsqu’il s’en trouvoit, ce qui arrivoit souvent.

Comme ces exécutions, laissoient les chambres vides de ceux qui étoient exécutés , la plus grande partie des détenus, surtout ceux qui étoient à leurs aises et qui étoient campés dans des colidors, s’empressoient de les demander poyr ce loger, c’est pour lors qu’Allieu, gardien, en faisoit ses choux gras, car il les louoit jusques à cinq ou six cents livres, ainsy comme je l’ay déjà observé les détenus qui occupoient des chambres étoient les premiers conduits au palais pour y être jugés, et de suite guillotinés. C’étoit un commerce assuré que faisoit le gardien ; l’on ignore si ce commerce le regardoit en seul, où s’il faisoit part de ses concutions à quelcun de ceux qui le soutenoient dans sa place, à rangs et à voiles, mais il est certain qu’il a retiré du louage de ces chambres plus de vingt mille livres.

 

Dans ces intervales de nourritures des détenus fut augmentée, on la fixa à quarante sols par jour, au lieu des quinze sols, mais pour cela nous ne fûmes pas mieux nourris, du moins pendant plus d’un mois et demy, dont l’ordinaire fut de même, quoyque le gardien retira quarante sols par jour pour chaque détenus, au lieu des quinze sols qu’il retiroit cy-devant, mais sur plaintes réitérées de plusieurs détenus qui n’avoient rien de chés eux, l’ordinaire changea, et fut composé d’une soupe de viande à diné, et d’un petit bouli, et le soir d’une petite carbonade.

 

Toutes ces concussions ne pouvoient pas naturellement durer, l’on guillotinoit journellement, à tort et à travers ; Simon Peschaire, agent national de Nismes, très bon patriote, homme intègre, et reconnu par les honnestes gens pour tel, fut dénoncé par des intrigues de Courbis et de ses adhérents, parce qu’il n’étoit pas de son avis, et qu’il plaignoit les victimes qu’on immoloit mal à propos : aussi si Courbis avoit été cru, Peschaire auroitété guillotiné, mais ses ennemis le craignoient. Dans ce même tems Grossier (Pierre), maire de cette commune (Aigues-Mortes) fut arrêté et mis au palais ; on avoit juré sa perte et il y avoit beaucoup à craindre pour luy. Courbis et étoit l’ami de Peschaire ; ce dernier avoit fait un mémoire de ses faits justificatifs qui ne laissoit rien à désirer pour prouver sa justification ; il l’avoit fait imprimer et l’avoit envoyé par un courrier extraordinaire à la Convention et au représentant Borie.

 

Gravure ci-dessus : Le Fort Vauban dit La Citadelle, qui fut longtemps la prison principale de Nîmes. Actuellement c'est l'Université de Nîmes.

 

Le tribunal révolutionnaire étant abolit, Courbis, ceux qui le composoient et ses adhérants, voyant que leur projet avoit manqué, en formèrent un nouveau por exécuter leur plan et pour ce défaire tout à coup des détenus ; l’un de ses derniers, détenu dans la maison d’arrêt cy devant capucins, en recevant son souper qu’on luy aportoit de sa maison, trouva dans le manche mal propre d’une casserolle de terre un billet portant, « Je vous avertis mon cher père que cette nuit on doit assassiner tous les détenus, ainsy prenés vos messures. »

 

Ce détenu étoit très prudent, il ne communiqua cet avis qu’à certains détenus aussy prudents que luy. Il se tint un conseil entre eux, où il fut convenu qu’on laisseroit de la lumière toute la nuit dans les salles et colidors, même dans plusieurs chambres, que soixante détenus, (dont mon fils étoit un) des plus ingambes et des plus expérimentés feroient la garde toute la nuit, qu’ils s’ameroient le mieux qu’il leur seroit possible, que l’on arrangeroit des mathelas pour recevoir la première décharge, suposé que l’on en vint à enfoncer les portes, qu’on se jetteroit à corps perdus sur la troupe pour tacher de la désarmer, et par là se procurer quelques fuzils armés de leur bayonetes, et enfin qu’on vendroit cher leurs vies, et un commandant très entendu fut choisi pour les commander, auquel ils promirent d’obéir.

 

De toute cette nuit il n’y eut rien de nouveau qu’une petite rumeur ; l’on ignore si les luminaires qui étoient répandus avec profusion dans toute la maison en furent la cause.

 

Le lendemain Allieu, gardien, fit beaucoup de train de ce qu’on avoit illuminé pendant la nuit les salles et les courroirs, il dit qu’aparamant on sa méfioit de luy, et qu’on le suspectoit, qu’on devoit le conoitre, et qu’il aomeroit mieux perdre sa tête que si aucun des détenus qui luy étoient confiés perdoit un cheveu.

 

La nuit suivante les mêmes précautions furent prises, malgré les représentations du gardien, et il n’y eut rien de nouveau qu’une petite rumeur.

 

Mais la nuit d’après, les mêmes précautions ayant été prises, l’on sceu que le club étoit assemblé, qu’il y avoit quantité d’individus que l’on avoit partout doublé les gardes ; sur la minuit étant aux écoutes l’on entendit qu’il venoit devant la porte de la maison une quantité de troupe, que le capitaine qui commandoit vint peu après, et demanda à sa troupe si leurs fuzils étoient chargés, et s’ils étoient munis de cartouches, et luy ayant été répondu que non, il leur ordonna que plusieurs d’entre eux fussent en prendre pourtous, et qu’ils amenassent avec eux une pièce de canon.

 

Le club étoit toujours assemblé ; il y avoit le gardien, les juges du tribunal révolutionnaire, Courbis, Bertrand, accusateur public et autres leurs adhérants qui faisoient à ce que l’on assuroit un tapage épouventable. Vers une heure la pièce de canon arriva devant la porte, et les détenus qui faisoient la garde, et qui étoient aux écoutes, virent avec satisfaction que l’on tournoit la bouche de ce canon du côté de l’esplanade, et entendirent le commandant qui disoit à sa troupe qu’il n’étoit pas juste de laisser assassiner les détenus, dont la plus grande partie étoient bons patriotes, et aussy honnêtes gens qu’eux, et qu’il falloit, au contraire, les déffendres en cas d’attaque.

 

Vers les deux heures, l’on apprit par des personnes qui ne faissoient qu’aller et venir du club , que Boudon l’un des juges du tribunal révolutionnaire, qui étoit dans le club, venoit de se tirer un coup de pistolet dans la tête et qu’il s’étoit tué, et que de suite Courbis avoit jetté des papiers sous son cadavre, que ces papiers ayant été ramassés, ils contenoient la liste de ceux qui devoient être conduire au palais, jugés et guillotinés, et que Courbis et Bertrand, accusateur public avoient été arrêtés, ainsy que les autres juges du tribunal révolutionnaire, et que l’on les conduisoit avec bonne et sûre garde et tous enchenés dans les cachots, accompagnés d’un grand peuple qui vouloient les immoler à leur rage ; dans cet intervalle Allieu se retiroit, mais il fut arrêté par la troupe qu’il étoit à la porte de la maison d’arrêt, et conduit au fort dans un cachot ; nos détenus qui étoient de garde et aux écoutes entendirent tout ce train là, et aprirent le tous avec la plus grande allégresse, et tous les détenus furent tranquilles. Ils apprirent au jour, que derrière la maison d’arrêt, il y avoit au moins quatre cens nimois armés pour les soutenir en cas d’ataque, dont plusieurs avoient leurs pères, leurs frères et leurs parans détenus, et au jour il se fit une réjouissance dans la maison.

Les scellés furent aposés sur les portes et armoires desdits Courbis, Allieu et autres arrêtés, et le même jour, Grossier (Pierre) maire fut mis en liberté, et Peschaire l’un des anges tutélaires du Gard fit abatre la guillotine, en disant qu’il n’étoit pas juste, que le sang des innocents qui avoient été guillotinés fut mêlé avec le sang impur de ce qui pourroient être guillotinés par la suite.

 

Il fut remis à Grossier quatre mandats d’arrêts, l’un contre Bertrand municipal de cette commune (Aigues-Mortes), dans laquelle il a fait beaucoup de mal, y état despote, et extrêmement crein, et les trois autres contre Maffiotte, Paul et Brancassy, membre du comité révolutionnaire de cette commune (Aigues-Mortes), quatre mauvais sujet qui faisoient trembler tous les habitans, et qui ne prechoient que le sang et le carnage.

 

Ces quatre personnes furent arrêtées et conduits à Nismes dans les cachots, Bertrand à la Citadelle et les trois autres aux Capucins.

 

Photo ci-dessus : L'Ancien Palais de Justice de Nîmes, ou siégeait le Tribunal Révolutionnaire.

 

 L’on arrêta encore Laporte, ancien curé de Saint-Gilles, et Charles qui avoient fait beaucoup de mal à Aiguemortes, qui furent conduits aux Capucins, et mis dans la même chambre ou étoit Maffiotte, Paul et Brancassy, fermés à clef.

 

L’on avoit amené des Capucins à Alais (un blanc dans le manuscrit), y étoit renfermé depuis plusieurs jours, grand ami du gardien, vivant à sa table, et qui ne paraissoit dans les salles des détenus, que pour y anoncer des malheurs, et leur apprendre ceux d’entre eux qui seroient bientôt guillotinés, ce qui se vériffiot ainsi qu’il avoit dit, parce qu’il étoit du secret, et qu’il mangeoit très souvent avec les juges du tribunal révolutionnaire, et l’on aprit qu’en arrivant à Alais il s’étoit donné plusieurs coups de razoir dans le ventre etau col, et qu’il étoit tué, et que Giret s’étoit pendu dans sa prison.

 

Ces nouvelles ayant été seuses de Charles, qui étoit renfermé, ainsy que je l’ay déjà dit, il se donna un coup de razoir au ventre et un autre au col, mais les coups n’étant pas profonds, il n’eut pas le courage de se tuer, on mit un apareil sur ses blessures, et on le porta à l’hopital gardé à vue, et ses camarades, au nombre de onze, furent traduits, vers les huit heures du soir au palais, et mis dans des cachots, où ils seront punis de leurs forfaits.

 

Le représentant Perrin, ange tutélaire du Gard, étoit arrivé à Nismes depuis quelques jours sa première expédition fut de faire abatre tous les abats jours qu’on avoit mis dans la maison, ce qui fut fait dans moins d’une demy heure, les détenus ayant aidé à cette expédition, et fit ouvrir les basses cours, pour que les détenus puissent si aller promener, et il fut mis à la place d’Allieu, gardien, un nouveau gardien nommé Masse, très honeste homme, populaire, secourant les détenus de tout son pouvoir et leur donnant toutes sortes de facilités ; leur ordinaire pour lors changea, et les détenus furent aussi bien nourris par cet homme de probité, qui fit maison nette des domestiques qu’Allieu y tenois qui étoient tous des mauvais sujets.

 

Ce représentant s’occupa ensuite des détenus, il commença de faire mettre en liberté les travailleurs, les manouvriers, ensuite les cultivateurs, et après eux il s’occupa des autres détenus qu’il faisoit mettre en liberté journellement.

 

Ce fut pour lors que je me remuai ; j’ecrivis à Aiguesmortes pour qu’on m’envoya Esparron mon petit fils, qui avoit eu le malheur de perdre une main à Perpignan, au service de la République, avec une pétition pour ma fille aînée, sa mère et une pour moy et pour ma famille.

 

Ce que j’avois demandé s’éxécutta. Esparron arriva à Nismes avec les diverses pétitions du 12 fructudor 29/8/1794).

 

Le lendemain matin il fut voir le représentant Perrin, auquel il remit les deux pétitions, et il fit voir sa blessure. Ce représentant luy témoigna ses regrets et de suite il a répondit à la pétition de sa mère par un arrêté qui luy accorda la liberté.

 

Ce représentant fit plus de diffilculté pour la mienne ; elle va être transcrite :

 

« Au représentant du peuple délégué dans le département du Gard.

« Représentant,

« Antoine Crouzet, d’Aiguesmortes, garde des salins de Peccais, exposse,

« Que Jacques Crouzet, vieillard de 72 ans, Elisabeth Bosse, sa femme, âgée de 64 ans, Guillaume Crouzet leur fils, âgé de 46 ans, et Thérèse Crouzet leur fille, âgée de 30 ans, sont depuis six mois détenus sçavoir, le père et le fils dans la maison d’arrêt de Nismes ditte des Capucins, et la mère et la fille dans la maison d’arrêt de Sommières.

« Que le crime de ces quatre malheureux, cousins du pétitionnaire, est d’avoir dans leur famille deux enfants ou deux frères, l’un appellé Cyprien Crouzet et l’autre Jacques Crouzet qui, dit-on, son émigrés.

« D’abord le premier, Cyprien, étoit établi à Avignon, il eut la douleur de voir assassiner sa femme par des sélérats qui a jettèrent, toute vivante, dans cette fameuse glacière qui sera l’horreur de tous les siècles, frapé de terreur, à ce spectacle hideux, il s’éclipsa et depuis on n’a plus sceu ce qu’il est devenu.

« Le second appellé Jacques étoit marier à Aiguesmortes, rongé de chagrin de l’affreuese catastrophe arrivée à sa belle-sœur, il s’est également éclipsé, et on n’a jamais eu aucune de ses nouvelles.

« Ces deux individus ont été depuis compris sur la liste des émigrés, et c’est d’après cette liste que Jacques Crouzet, Elisabeth Bosse, Guillaume Crouzet et Thérèze Crouzet furent incarcérés.

Il sont punis d’un crime qui n’est pas prouvé et que d’ailleurs ils n’ont peu prévoir, ni empècher ; ils sont absolument sans fortune, et il faut même ajouter qu’il n’ont acoutumé de vivre que du travail de leurs mains et de leur industrie.

« Dans ces circonstances je viens, comme plus proche parent de ces malheureux, implorer clémence, citoyen représentant, et te prier de jetter un regard paternel sur cette famille infortunée.

« Aiguesmortes, ce 11e fructidor, 2e année républicaine (28/8/1794).

« Antoine Crouzet, signé. »

 

« Nous, maire et officier municipaux de la commune d’Aiguesmortes, certifions et attestons la vérité des fait ci-dessus.

« A Aiguesmortes, le 11e fructidor, 2e de la Républicaine (28/8/1794).

« Vigne, officier municipal, Bertouy, officier municipal, Naud, officier municipal, signés. »

 

Cette pétition fut répondue par le réprésentant Perrin d’un arrêté portant :

« Renvoyé à la municipalité d’Aiguesmortes pour s’expliquer si les détenus ont donné des preuves de civisme dans l’origine de la Révolution.

« Le représentant du peuple dans le département du Gard.

« Nismes, le 13 fructidor an 2e de la République française (30/8/1794).

« Perrin, signé. »

 

Esparron, mon petit-fils, partit de suite pour sommières pour aller délivrer sa mère, et mon épouse et Thérèze mon autre fille , furent délivrées le même jour.

 

Ledit Esparron se rendit le plus tôt qu’il luy fut possible à Aiguesmortes avec sa mère et sa grand’-mère, muni de la pétition qui concernoit mon fils et moy, pour la présenter à la municipalité, pour qu’elle tépondit à l’arrêté du représentant, laquelle fit, le 16 frudictor, la réponse qui suit :

« Nous, maire et officiers municipaux de la commune d’Aiguesmortes, sur le renvoy qui nous été fait de la présennte pétition par le représentant du peuple Perrin.

« Certifions : 1° que Jacques Crouzet, vieillard de 72 ans, fit et payat un don patriotique relatif à ses petits moyens, qu’il fut procureur de la commune dès l’origine de la Révolution, et qu’il faisoit rigoureusement exécuter les loix, qu’il se montra bien pour faire respecter le curé constitutionnel, qu’il a toujours fait son service comme vétéran dans la garde nationale, qu’il a toujours assisté à toutes les festes et promenades civiques, et que dans une d’elles, comme le plus ancien d’âge, il porta triomphalement le bonnet destiné à être mis sur l’arbre de la liberté ; qu’il a contribué, autant que ses moyens l’ont permis, aux levées qui ont été faite pour secourir nos frères d’armes ;

« 2° Que Guillaume Crouzet a toujours fait son devoir dans la garde nationale, qu’il a marché à diverses reprises contre les rebelles de Jalès, et autres, qu’il a contribué de tous ses moyens à secourir les deffenseurs de la patrie.

« Que d’après tout cela nous pensons qu’ils ont donné des suffisantes preuves de civismes pour obtenir leur liberté.

« A Aiguesmortes, le 16 fructidor, 2e année de la République une et indivisible.

« Grossier, maire, Naud, officier municipal, Sauvat, agent national, signés. »

 

« Vu l’attestation cy-dessus, les Crouzet père et fils, seront mis en liberté d’après la loy du 21 messidor, et des scellés et sequestres levés dessus leurs effets.

« Arrêté à Nismes par le représentant du peuple, le 23 fructidor, an 2 de la République française une et indivisible, le tout à la diligence de l’agent national du district de Nismes.

« Perrin, signé – Scellé, pour copie : Peyre, secrétaire, signé. »

 

Cet arrêté ayant été remis à l’agent national de Nismes, il fit la réquisition cy après au gardien, en vertu de laquelle mon fils et moy furent mis en liberté le dit jour 23 frudidor, qu’ainsy qu’apert de la pièce cy après écrite :

« Liberté, Egalité,

« En execution de l’arrêté du représentant Perrin en datte de ce jour, le citoyen Masse, gardien de la maison d’arrêt ditte les Capucins, est requis de décrouer et mettre en liberté les citoyens dont les noms sont cy après transcrits, N°1, Jacques Crouzet vieillard, 2, Guillaume Crouzet.

« Fait à Nismes, le 23 fructidor, an 2e de la République une et indivisible (9/9/1795).

« L’agent national près du district de Nismes :

« Simon Peschaire, signé. »

« Certifié conforme à l’origine que j’ay en mon pouvoir. En vertu de l’ordre cy dessus j’ay mis en liberté les citoyen Jacques Crouzet, vieillard, et Guillaume Crouzet.

«  Jacques Masse, signé. »

« Vu par nous administrateur du district de Nismes, ce 23 fructidor, an 2e de la République une et indivisible (9/9/1794).

« Collet, adjoint, Dupuy, adjoint, Peyre secrétaire, signé. »

 

Je sortis avec ma femme et mon fils et mon petit bagage, de la maison d’arrêt, ledit jour 23 fructidor, sur les six heures du soir, après avoir pris congé de plusieurs détenus, et nous fumes souer ensemble et coucher au cabaret.

 

Le lendemain 24, nous nous rendimes dans cette commune (Aigues-Mortes) vers les quatre de l’après-midy, sur le fourgon de Bagnolet, après avoir diné à Aimargues. Je ne puis m’exprimer la sensation que j’éprouvois quand la porte de la ville je trouvay quantité des citoyens qui venoient m’embrasser et me témoigner leurs satisfactions, au sujet de mon arrivée. Ils me conduisirent chès mon gendre, ou je restay deux jours et deux nuits, à cause que mes effets étoint sous le scellé, et que ma maison étoit fermée.

 

Le 25 du dit mois les scellés furent levées, ainsy que ce fait conste du verbal cy après écrit :

« Ce jourd’huy 25e fructidor l’an second de la République française (11/9/1794), une et indivisible, avant, midy, nous juge de paix du canton d’Aiguesmortes, district de Nismes, accompagné de Teissier, notre secretaire et assisté de Pierre Naud et Bernard Bertouy, officiers municipaux de la commune d’Aiguesmortes, nous sommes transportés dans la maison d’habitation du citoyen Jacques Crouzet, notaire public de cette commue, où étant en vertu de l’arrêté , rendu le 23 fructidor courant, par Perrin, représentant du peuple, délégué dans le département du Gard, avons visité et vérifié tous les scellés qui avoient été par nous posés sur divers apartements et armoires dudit Jacques Crouzet, et les ayant trouvés sains et intact, les avons de suite levés, et nous avons remis et étably le dit Crouzet dans la réelle, actuelle et corporelle possession de tous les objets qui étoient sous les dits scellés, et ordonné qu’il sera également libre et paisible possesseur de tous ses autres biens qui avoient été séquestrés, et nous sommes signés avec les dits officiers municipaux et notre secrétaire greffier.

« Peyret, juge de paix, Naud, officier municipal, Bertouy, officier municipal, Teissier secrétaire, signés. »

 

Je trouvay ma maison, comme une maison qui est en décret, mon bois à bruler, mes sarments, mon charbon ; ma vaiselle de terre, tout avoir été à l’Hôpital, mes chanderons, casserolles, chandelliers, etc. etc.; m’avoient été enlevés, et j’en suis privé, tous mes effets généralement quelconques, avoient été mis pelle et melle dans le grenier de devant la maison, dans laquelle le comité de surveillance y tenoit scéances, et elle étoit habitée par leur concierge qui étoit un repasseur de chapeaux, c’étoit l’abomination de la désolation.

 

Il m’a manqué plusieurs objets ; j’ignore si le tout me sera rendu ou non ; je n’ai des provisions de nulle espèce ; je pardonne de bon cœur mes ennemis ; enfin j’ay ma liberté, ainsy que ma famille je suis avec elle sur mes foyers ; grâces en soient rendues au citoyen Perrin, représentant du peuple ; ainsy Dieu en soit béni et loué éternellement.

Amen.

 

Jacques Crouzet s’éteindra dans sa demeure entourer des siens le 1er ventôse an V (19/21797).

Registre de Jacques Crouzet, Notaire d’Aigues-Mortes, 1793-1795, folio de 150 à 168.

Les personnes citaient dans ce mémoire :

 

L’auteur :

 

Jacques Crouzet est né à Aigues-Mortes le 11 mars 1722 et y décédera le 1er ventôse an V (19/2/1797), fils du notaire Antoine Crouzet (1694-1744) et d’Antoinette Collet (1699-1744). Sa mère est issue des Notaires Collet d’Aigues-Mortes. Son père fut Greffier Consulaire d’Aigues-Mortes avant de devenir Avocat ; il devient notaire, lorsqu’il acheta un office de Notaire en 1726, qu’il cédera à son fils en 1744.

 

Sa famille :

 

Son épouse Elisabeth Bosse (Elisabeth Alexis Bosse) née vers 1739, je n’ai aucun autre renseignement sur elle, serait marier vers 1748 avec le notaire.

 

Jacques et Elisabeth eurent au moins 5 enfants :

1°) Jeanne Crouzet marier avec Antoine Esparron (1751-1818), d’ou descendance.

2°) Guillaume Jacques Antoine Crouzet, né vers 1748 ; c’est le Guillaume qui suivit son père en prison, pas d’autre renseignement sur lui.

3°) Cyprien Crouzet, né vers 1759 et décédé en Avignon le 11/10/1837, Pharmacien et époux de Marie-Cécile Arnavon ; c’est le Cyprien qui aurait émigré à l’étranger après le meurtre de son épouse.

4°) Jeanne Thérèse Crouzet, née vers 1764 ; c’est Thérèze la captive de Sommières avec sa mère et sa tante.

5°) Jacques Crouzet ; c’est Jacques qui fut marier et disparu aussi après le meurtre de sa belle-sœur, et qui est dit émigré.

 

Jacques Crouzet père avait une sœur Marguerite Crouzet, qui fut, elle aussi emprisonnait à Sommières.

Certains personnages de ce mémoire :

 

Joseph Antoine Courbis né à Tournon (Ardèche) le 28/1/1752 et décédé à Nîmes le 4/6/1795 ; dit « Le Marat du Midi » Les Archives de Nîmes le prénomme Jean Antoine. Il fit des études à Tournon, puis Montpellier et à Toulouse.

 

A 32 ans en 1784, Courbis achète une charge de Procureur et siège au Parlement de Toulouse, comme avocat, et on le retrouve à Nîmes, où il acquit une maison attenante du Tribunal, le 5/3/1785. dès le début de la Révolution, il adhère à ces idées, et en 1790, il est électeur et Membre du Club des Amis de la Constitution de Nîmes.

 

Après la chute du Maire de Nîmes le Baron de Margueritte, il est élu officier municipal le 26/9/1791. Après la création de la Société Populaire des Amis de la Constitution le 13/11/1791, Courbis il adhère le 5/10/1792, mais, il devient le porte-parole des Jacobins locaux qui l’élisent Procureur-Sindic du District de Nîmes en novembre 1792. Puis la Société Populaire et les Jacobins entre en conflit e 1793, et Courbis tente de s’opposer au contre-révolutionnaires, sans succès.

 

Quand la révolte des Fédéralistes est déclenché le 11/6/1793, Courbis se voit accusé de malversations. Il évitera son arrestation, en prenant la fuite. Quelques semaine plus tard , le 29 juillet, grâce à des amis bien placé, il est réintégré dans ses fonctions, et le 12/9/1793, il nommé Maire de la Ville, par Rovère et Poultier qui se trouvaient en Avignon.

 

Le 2/10/1793, Courbis est nommé et prend la Présidence du Comité du Salut Public du Gard, et sous présidence la terreur va régné à Nîmes, et il va se consacrer corps et âmes ce régime de terreur.

 

Courbis continue à poursuivre de sa rigueur inflexible les anciens Fédéralistes. Mais au fur et à mesure que la répression s’accentue, l’opposition contre lui se manifeste au sein même du noyau des durs.

 

Photo ci-dessus : L'Esplanade lieu ou fut installé la Guillotine. Au fond on apperçoit le Palais de Justice

 

La guillotine étant installée sur l’Esplanade, de la fenêtre du vestiaire des juges, il assistait au spectacle, attablé avec les juges Giret, Béniqué et Raffard. Ils pariaient sur la chute de la tête dans le panier ou hors du panier. Si le condamné raidissait la nuque avant e choc du couperet, sa tête bondissait au lieu de tomber dans le panier.

 

La plupart des anciens administrateurs du Gard, ainsi que les Fédéralistes passeront sous le couperet. La Maison de Justice situé derrière le tribunal, ainsi que la Citadelle (Fort Vauban, actuellement l’Université de Nîmes), étaient engorgées. Le couvent des Capucins (actuellement l’emplacement de Hôtel Atria) sera transformé en une prison. Tout prisonnier était jugé sommairement : pas de jury, un seul défenseur et Me Dupuy avocat des pauvres. Il n’y avait pas de témoins pour la défense. Une fois condamné à mort, le prisonnier était entraîné par le bourreau Vachale, vers le lieu de son supplice ou se dressait la guillotine sur l’Esplanade, et en face de l’actuel Rue Rigale.

 

Courbis Maire de Nîmes avait pour ennemis les puissantes familles des notables, qu’il avait fait enfermer ou condamner. Un rapport accusateur réalisé par Bertrand et Langlois adressé à la Convention de l’Hérault, déclencha son arrestation le 21 nivôse an II (10/1/1794).

 

Courbis évitera la prison en restant en garde à vue dans sa maison. Il sera reconnu innocent par le Comité National du Salut Public le 28 janvier ; et quelques temps après, ses accusateurs Bertrand et Langlois seront guillotinés.

 

Le 8 ventôse an II (11/3/1795), le Député du Gard et Avocat Jean Henry Voullaud, le défendra à la Convention, alors que celui-ci était aux prises contre les Fédéralistes et qu’il l’appelera le « Marat du Midi »

 

Quelques jours après la chute de Robespierre survenue le 27/7/1795, le Conseil d’Administration du District, le fit arrêté en pleine réunion, ainsi que ses collaborateur. Il sera jeter dans un cachot de la Maison de Justice, puis transféré à La Citadelle et il sera massacré dans sa cellule par une bande armée, qui avait réussit à s’introduire dans la prison dans la nuit du 6 Prairial an III (4/6/1795), on ne retrouvera jamais ses assassins, et la nouvelle justice à Nîmes ne fit aucun empressement à les rechercher.

 

Le blanc dans le texte (L’on avoit amené des Capucins à Alais) ; ce personnage n’est autre qu’Antoine de La Rovière, ex-vicaire de la Cathédrale de Béziers, curé constitutionnel de Montaren (Gard) et Lieutenant de Gendarmerie, et la date de son suicide est le 25 thermidor an III (12/8/1795).


 

Giret qui fut juge de Nîmes et puis celui du Tribunal Révolutionnaire, se pendit dans sa cellule le 8 fructidor an III (25/8/1795). quand à Allieu (ou Allien) il sera aussi massacré dans sa cellule le même jour que Courbis (6 Prairial an III).

Borie dans le texte, n’est autre que Jean Borie-Cambort avocat avant la Révolution, Député à a Convention Nationale. Nommé administrateur de la Corrèze en 1790 , il fut en septembre 1791, élu membre de l’Assemblée Législative,où il se fait remarquer ; en septembre 1792 ; il siège dans la Convention Nationale ; il vota la mort du roi Louis XVI. Il fut envoyé dans l’armée du Rhin en juillet 1793, comme Commissaire de la Convention ; rappeler en novembre 1793, il est envoyait en mission dans les départements de la Lozère et du Gard. Installé à Nîmes, il ordonna que la guillotine fut placée sur l’Esplanade, il fit répandre à grand flot, le sang des catholiques. c’est lui qui créa le Tribunal Révolutionnaire du Gard. Il fut arrêté le soir du 1er Prairial an III (20/5/1795) ; mais sauva sa tête lors de l’amnistie du 4 brumaire an IV (26/10/1795).

Suite au coup d’état du 18 brumaire an VIII (9/11/1799), il devient juge du tribunal civil de Cognac. Il décédera paisiblement en 1805 à Sarlat.


 

Pierre Grossier (1760-1796), natif d’Aigues-Mortes, fut un simple travailleur journalier ; fils de Pierre Grossier et de Catherine Rey ; marier dudit lieu.


 

Pierre fut dès les premiers jours de la Révolution, un partisan acharné et zélé, ce qui lui vaudra d’avoir beaucoup d’ennemis ; qui lui coûtera la vie.


 

Le 14 décembre 1792, il est élu et fait parti de la Municipalité du Maire Richaud, avec Joseph Ortus, Chirurgien, Vigneau et Bertouy, mais cette municipalité démissionna en bloc le 20/6/1793, et l’ancien maire Arnaud Nesme reprit l’hôtel de ville.


 

Accusé de tiedeur et dénoncé par Puech du District de Nîmes et par Paul du Comité de Surveillance, Pierre Grossier fut à sontour arrêter et envoyer dans les prisons de Nîmes le 6 thermidor an II (24/7/1794), pour y être juger ; mais la chute de Robespierre, le sauva et son retour à Aigues-Mortes fut triomphale. Peu de temps après, il est élu Maire de cette comune, il administra la Municipalité d’une main de fer, il fit arrêté Paule et Bernard, qu’il l’avait dénoncé. Mais la population lasse de sa tyranie, manifesta son mécontentement, et Pierre Grossier et son équipe durent à leurs tour démissionner le 4 prairial III (23/5/1795).


 

Le nouveau Maire Jean Cambon, lança contre lui et ses acolytes (Biron, Servel dit Rabagna, Azéma, Rancia, Courtial et Gilles) des mandats d’arrêts. Prévenu à temps, Pierre Grossier prit la fuite, mais il fût arrêté à Montpellier le 28 messidor an III (16/7/1795), et envoyer une nouvelle fois dans les prisons de Nîmes, et après quatre mois de détention, lui et sbires eurent un non-lieu, bénéficiant de la loi du 4 Brumaire an IV (26/10/1795), portant absolution des faits relatifs à la Révolution.

Dès son retour à Aigues-Mortes, Grossier et Biron se livrèrent à des désordres sur la voie publique où le soir ils soupèrent chez le Traiteur Ancet, critiquant ouvertement le Maire Cambon. Et le 7 brumaire (29/10/1795), le Maire fut insulté sur la place publique, Grossier dût comparaître devant l’officier de Police, mais le procs-verbal, envoyé au Directoire Départemental, n’eut pas de suite.

L’ancien maire, qui s’était attiré bien des haines, épousa la veuve de Louis Demongin, dont ce dernier avait été guillotiné le 10 thermidor an II (24/7/1794) sur l’Esplanade à Nîmes, ou il avait été dénoncé par la Société des Sans-Culottes d’Aigues-Mortes, dont Grossier était un membre actif. Les bans de mariage furent publier le 29 ventôse an IV (19/3/1796), et le mariage célébré le 15 germinal suivant (4/4/1796) ; Pierre Grossier étant âgé de 36 ans, et la veuve Demongin, Catherine Matharan de 29 ans, native d’Argelès (Haute-Pyrénées).

 


Photo ci-dessus : C'est dans cette rue que fut lynché Pierre Grossier, l'ancien maire d'Aigues-Mortes au 15 Grand-Rue.

 

Grossier et son épouse tenaient un magasin de quincaillerie au 15 Grand-Rue ; et le 3 prairial an IV (23/5/1796) sur les 15 heures 30, Grossier fumant sa pipe sur le pas de sa porte, regardant des jeunes gens allant au bal, il a l’audace de les narguer. Rey son parent, lui demanda de se taire et de rentrer chez-lui ; il venait sans le savoir signer son arrêt de mort : sa maison fut aussitôt assiéger par une foule hostile ; il blessa d’un coup de rame Ferdier, qui était venu pour lui acheter du tabac. Ce dernier restait sans connaissance ; la foule prétendit que Ferdier avait été tuer ; voyant celle-ci fondre sur lui, Pierre Grossier monta à l’étage de sa maison, passa par le toit et rejoignit par la maison voisine du nommé Coulomb, il tenta de sauter dans la rue,comme l’y invité Théaulon, qui lui promit d’assurer la protection de la Municipalité accouru avec la force armée. Voyant les fusils braquer sur lui, Grossier referma la fenestre ; et la porte fut forcée. Il se défendit corps et âme, poignardant la cuisse le nommé Bruguier qui voulait le saisir, et si selon certains témoins, Grossier se serait tiré une balle dans la tête, d’autres, dont sa femme prétendirent, qu’il fut abbatu d’un coups de feu. Autour de la civière, on dansa et on chanta. Selon Joseph Ortus et Demoutiers, officiers de santé, qui constatèrent son décès, Grossier avait son œil gauche hors de son orbite, sa machoire fracassé, ses testicules énormes, et une plaie par arme à feu, côté gauche. Ainsi se termina la vie de l’ancien Maire d’Aigues-Mortes.

Sources :

Registre de Me Jacques Crouzet, Notaire d’Aigues-Mortes.

Aigues-Mortes du passé au présent de Bernard Gros ; Éditeur Lucie Édition.

Aigues-Mortes en Révolution (1789-1793) : un témoin Antoine Collet de Madeleine Ferrières, Édition Bartkélemy.

Archives Départementales du Gard, celle d’Aigues-Mortes.

Archives Judiciaires de Nîmes.


 

 


 


 


 


 

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