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L'HISTOIRE POUR TOUS

Ecrire et faire aimer l'histoire

L’Histoire Pour Tous N°82 : Aimée Dubuc de Rivery (1776- ?) ou Nakshidil la légende de la Sultane Française

La Légende de la Sultane Martiniquaise 

 

1817, Constantinople, la Sultane Validé Nakshidil ’’la reine des têtes voilées’’, vient de mourir, c’était un 22 août. Du destin de cette femme hors du commun, il ne reste aujourd’hui qu’un mausolée pris d’assaut par une vilaine pelouse en broussaille.

 

La légende nous dit que la Sultane Validé était Française et originaire de l’Île de la Martinique et se nommait Aimée Dubuc de Rivery.

Vérité ou légende, telle est la question que les historiens du monde contemporain se posent.

Pour cela, revenons 247 ans dans le passée.

Le 9 mars 1796, le général Napoléon Bonaparte épousait Joséphine, veuve du vicomte Alexandre de Beauharnais, mort sur l'échafaud en 1794 et dont elle avait 2 enfants  : Eugène, âgé de 15 ans, futur vice-roi d'Italie et Hortense, 13 ans, qui épousera Louis Bonaparte, le propre frère de Napoléon, et deviendra reine de Hollande et donnera à son mari un fils prénommé Charles Louis Napoléon, plus connu sous le nom de Napoléon III.

Joséphine, de ses vrais prénoms Marie-Josèphe-Rose, était née aux Trois- Îlets, à la Martinique, du mariage de Messire Joseph-Gaspard de Taschers, chevalier Seigneur de la Pagerie, Lieutenant d'artillerie réformé et de Madame Marie-Rose de Vergers de Sanoix.

Île de la Martinique

Or donc, Joséphine, adolescente eut un jour l'idée avec sa petite amie et cousine Aimée, d'aller consulter une voyante, une "devineresse" Caraïbe nommée Eliana. Cette dernière après avoir lu dans la main d'Aimée lui déclara tout net :

« Tu seras reine un jour ! »

L’Impératrice Joséphine l’aurait mentionnée ainsi que Napoléon Ier, selon l’écrivain André Castellot (1911-2004), dans sa biographie sur Joséphine nous rapporte une anecdote qu'il tient pour véridique car citée 2 fois, une 1re fois par Joséphine elle-même et une seconde par Napoléon.

 

1 – Mais qui est donc cette Aimée Dubuc de Rivery ?

Elle est la fille d’Henry Jacob Dubuc de Rivery, issue d’une grande famille Créole, né au Robert en 1748. Il avait épousé en 1773 une autre Créole, Marie-Anne d’Arbousset-Beaufond, qui lui donna 4 filles et 2 garçons entre 1774 et 1782. Aimée Augustine Marie Joseph, était née le 4 décembre 1776, une année après la mort prématurée de l’aînée Marie-Anne Rose, dans la plantation de Pointe-La-Rose.

Les Ruines de la maison de la famille Dubuc de Rivery, au Robert à Pointe-Marlet, Martinique

Petite, Aimée fut envoyée en pension à Fort-Royal (aujourd’hui Fort-de-France), chez les sœurs dites « Dames de la Providence », puis à l’âge de 11 ans, ses parents l’envoyèrent en France pour continuer son éducation. Elle s’embarqua à destination de Bordeaux avec sa nounou, sa tante et son oncle qui était aussi son parrain. De là, ils devaient poursuivre leur route jusqu'à Marseille où Aimée allait être scolarisée. Cependant Pierre d’Arbousset-Beaufond le parrain, mourut sur le chemin entre Bordeaux et Marseille. La tante Marie-Anne décida alors de rebrousser chemin et de retourner en Martinique en laissant Aimée et sa nounou au monastère de La Visitation Sainte-Marie à Nantes, en Bretagne.

En raison des troubles qui se produisirent en France à cette époque, les parents d’Aimée décidèrent de la rapatrier en Martinique. Le 8 août 1788, voguant vers la Martinique, à bord de la Belle Mouette commandée par le capitaine Duddefand, de retour de Nantes où elle venait d'achever ses études, Aimée fit naufrage à 40 milles au Sud-Ouest de La Coruna, en raison d'une voie d'eau. Heureusement, avant de sombrer, un navire Espagnol passa à quelques encablures et sauva passagers et équipage.

Il semblerait que le bateau fit naufrage et c’est un navire Espagnol en route pour Majorque qui sauva les passagers non loin des côtes de La Corogne. Entre le détroit de Gibraltar et les Baléares, l’embarcation se fit attaquer par les Barbaresques qui décimèrent l’équipage avant de capturer les passagers et de les emmener comme esclaves dans les territoires Ottomans à El Djezaïr, autrement dit Alger. Les prisonniers furent amenés par le commandant pirate dans un ancien hammam transformé en prison. Aimée Dubuc de Rivery faisait partie du lot.

 

Arrivée de captifs chrétiens à Alger

Il était d’usage que les notables des Provinces Ottomanes gardassent les plus belles jeunes esclaves pour les offrir au sultan de façon à attirer ses bonnes grâces. C’est ainsi que le Bey d’Alger, Mohamed Ben Osmane Khodja (1710-1791), offrit une jeune fille d’origine Française au Sultan Abdülhamid Ier probablement en 1783. Le 20 juillet 1784 de l’année suivante naquit un garçon du nom de Mahmut qui finira par devenir sultan à son tour le 28 juillet 1808 jusqu'à sa mort le 1er juillet 1839, sous le nom de Mahmut II. Son règne a été marqué par de nombreuses réformes, la suppression du corps des Janissaires et la perte de territoires immenses, dont l’Algérie au profit de la France. Sa mère qui devint « validé », soit SultanerMère, eut une influence certaine sur le sultan qui était appelé « Gavur Sultan », autrement dit, le Sultan Infidèle, parce que selon la rumeur, sa mère Française avait fait venir des nonnes au sérail pour donner une éducation religieuse à Mahmut.

Mais revenons au Sultan Abdülhamid Ier.
 

Nakşidil et le Sultan Abdülhamid Ier

L’époux de la belle esclave Française, renommée Nakşidil (ou Nakchidil) avait eut 16 enfants avec 13 femmes différentes, il mourut 20 juillet 1789 des suites d’un malaise cardiaque. Son neveu, Selim (1761-1807), qui lui succède sous le nom Selim III. Son règne est marqué par des guerres désastreuses contre l'Autriche (paix de Svištov, 1791) et la Russie (paix de Iaşi, 1792 : perte du Budjaq [Bessarabie Méridionale] et d'Otchakov), puis par l'expédition de Bonaparte et l’occupation Française de Égypte (1797-1801).

Dans le même temps, les Provinces Ottomanes sont agitées par des révoltes (Serbie en 1803, Wahhabites, dans le Hedjaz en 1803-1804), des troubles (Bulgarie) et des mouvements centrifuges (Syrie, Palestine) que le pouvoir central ne peut juguler. Les réformes que le sultan Selim III s'efforce personnellement d'introduire dans l'administration (fisc, enseignement) et dans l'armée (suppression des bénéfices militaires, création de nouveaux corps de troupes sur le modèle Européen) provoquent une révolte des Janissaires, qui le renversent au profit de son cousin Mustafa IV (1779-1808). L'année suivante, une armée fidèle s'avançant pour restaurer Selim III, Mustafa IV le fait exécuter avant d'être lui-même mis à mort. Il est à noter que Selim fut l’un des 1res monarque a reconnaître Napoléon Bonaparte comme Empereur des Français.

Sultan Selim III

Nakşidil fut une conseillère du Sultan Selim III, l’incitant à adopter de nouvelles réformes et abolir certaines coutumes désuètes. Les conservateurs enragés par ce « modernisme » destituent Selim III et portent son cousin Mustafa IV au pouvoir. S’en suivent pour la jeune femme des mois de disgrâce sur les bords du Bosphore. L’exécution de Mustafa IV, la ramène au premier plan, car Mahmut II, son fils ou son fils adoptif (les historiens ne sont pas d'accord sur ce point) devient à son tour Sultan et la belle Française recouvre alors sa précellence. Devenue la validé (Sultane-Mère) et conseilla son fils (voir ci-dessus). C’est au moment même où elle atteint l’apogée de son règne que la maladie, la tuberculose, l’emporta en ce 22 août 1817, au palais de Beşiktaş. Selon la rumeur, un prêtre catholique lui aurait donné les derniers sacrements, puis elle fut enterrée selon la tradition Musulmane au cimetière de Fatih, près de la mosquée du Conquérant. C’est à partir de là que va naître l’incroyable fable de la Sultane Martiniquaise, d’abord dans les milieux Levantins de Constantinople, puis elle va se propager et prendre de l’ampleur dans toute l’Europe et jusqu’aux Antilles.

Les premiers articles de presse sur cette légende parurent en 1820 déjà, mais c’est surtout à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, puis dans les années 1930, que le mythe prit des proportions démesurées.

Il faut noter que le Sultan Abdülaziz (1830-1876) qui cherchait des alliances Occidentales et qui visitait l’Exposition Universelle à Paris en 1867, avait jeté de l’huile sur le feu. Il avait offert un portrait de la sultane Nakşidil à Napoléon III en déclarant, qu’ils étaient tous deux liés par leurs grand-mères.

Comme les dates de naissances d’Aimée Dubuc de Rivery (née en 1776) et du Sultan Mahmut II (1784) ne concordaient pas ; si Aimée aurait été la mère de Mahmut II, elle aurait accouchée à 8 ans. Alors on avait fini par inventer une histoire d’adoption. Mais ce n’était pas le seul point de la légende qui était boiteux. En effet, Joséphine n’était pas une cousine d’Aimée et bien qu’à la Martinique elles ne vivaient pas très éloignées l’une de l’autre, il est peu probable qu’avec leurs treize ans de différence, elles se retrouvaient pour aller visiter les cases des esclaves.

Sultan Mahmut II

Lorsqu’Aimée était en pension à Nantes en 1787-88, Joséphine était l’épouse de François de Beauharnais depuis déjà 8 ans et avait 2 enfants, Eugène et Hortense, respectivement de 7 et 4 ans. Marie Josèphe Rose dite Joséphine de Beauharnais née Tascher de La Pagerie n’a jamais étudié autre part que chez les sœurs à Fort-Royal, dont elle est sortie à l’âge de 14 ans.

 

3 – Une Légende Bien Vivante :

Le roman de Michel de Grèce, « La Nuit du Sérail » paru en 1982 a largement contribué à tenir la légende bien vivante. Toutefois, même si le cadre est historique, il ne s’agit que d’un roman, tout comme « La Grande Sultane » de Barbara Chase Riboud (1987). « J'ai assassiné la Sultane Validé » de Jacques Petitjean (1990), quant à lui, démonte totalement le mythe.

D’autres livres ont été publiés sur le sujet depuis 2 siècles, tandis que la famille Dubuc de Rivery tentait de maintenir le « mystère de la Sultane Française » en se rendant officiellement et encore récemment en 2017, au mausolée de la Sultane Nakşidil.

Les Archives Ottomanes ne sont jamais très claires quand il s’agit des origines des Sultanes. Elles mentionnent toutefois que la sultane Nakşidil était née en juillet ou août 1768 et morte le 22 août 1817 de tuberculose. Elle fut la 8e épouse du Sultan Abdülhamid Ier et validé (sultane-mère) après l’accession au trône du sultan Mahmut II, son fils biologique.

Quatre lignes et demie suffisent donc à faire tomber implacablement un mythe.

 

Mausolée de Nakshidil à Istambul

Aimée Dubuc de Rivery a belle et bien disparue en 1788, lors de la prise du bateau par les Barbaresques, sûrement bien emmenée à Alger, pour être vendue comme esclave et, delà on perd définitivement sa trace.

Fut-elle tuée lors de la prise du navire ? Fut-elle esclave d’un riche propriétaire Musulman ? Où a-t-elle finie dans le harem du Bey Alger ? Tant de questions qui sûrement resteront sans réponses. À moins que dans un futur, un document resurgisse sur sa destinée … Mais ceci et une autre histoire…

Emblème des Sultans Ottoman

Et pour finir voici l’Épitaphe du Sultan Mahmut II sur le mausolée de sa mère, édifié dans les jardins de la mosquée de Mohamed II le Conquérant

Caractère du soleil, pur et noble

A conquis l'Orient par sa Majesté simple,

Grâce à elle, la nature s'est vivifiée encore,

Sa grandeur et sa renommée retantissantes,

Ont fait du pays un jardin de roses,

Les fleurs sont heureuses par elles,

Elles conserveront à jamais sa mémoire

Le sultan du Monde, Mahmut II

Est imprégné par elle

Sur cette tête auguste de sa mère Nakshidil,

On a mis des prières et de la terre,

C'est avec des larmes de sang

Que j'écris ici pour mémoire

Moi, Sadik, la date de sa mort douloureuse

1817 ou 1233 de l'Egire 👇

Sources :

Jacques Petitjean Roget ; J'ai assassiné la sultane Validé, Société d'Histoire de la Martinique, 1990 (430 pages)

Anne-Marie Martin du Theil, La Belle Nak-Chidil ou Aimée de Rivery : grand roman historique, "Du Buc Ste Preuve"; avant-propos par Claude Farrère, Bergerac, chez l'auteur, 1937

Revue d'histoire des colonies - 1932 Page 194 nous savons aussi qu'Aimée du Buc de Rivery, disparue en 1790, ne peut avoir été la mère de Mahmoud II, né en 1785, alors qu'elle avait neuf ans

Le Journal des débats, Constantinople, 8 septembre 1817
 

À Nîmes : le samedi 8 avril 2023

Denis Cazorla y Almería

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