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L'HISTOIRE POUR TOUS

Ecrire et faire aimer l'histoire

Histoire Pour Tous N° 70 : L’exécution de Mata-Hari, vu et écrit par le Docteur Léon Bizard

Les derniers instants de Mata-Hari

 

Mata-Hari, album Reutlinger de portaits divers – source : Gallica-BnF

En 1934, le médecin Léon Bizard (1872-1942) raconte l’exécution de la fameuse espionne, fusillée à Vincennes en 1917 pour intelligence avec l'ennemi.

Mata Hari, de son vrai nom Margaretha Geertruida «Grietje» Zelle, est née en 1876 à Leeuwarden, aux Pays-Bas. Après avoir vécu quelque temps avec son mari et leurs deux enfants à Java, elle retourne en Europe où elle devient danseuse exotique et courtisane. Ses conquêtes et son mode de vie flamboyant lui valent la célébrité.

C'est en 1916 qu'elle devient espionne pour le compte des Services Secrets Français, sa nationalité Néerlandaise lui permettant de franchir librement les frontières d'une Europe alors déchirée par la guerre. Mais le 13 février 1917, elle est arrêtée à Paris par l'armée Française : on l'accuse d'intelligence avec l'ennemi. Les mutineries se multiplient au front et la France exige des coupables. Après un procès sommaire qui la désigne comme l'agent Allemand « H-21 », elle est condamnée à mort. Elle sera fusillée le 15 octobre, à Vincennes.

Pendant ses huit mois de détention, Léon Bizard, médecin-chef de la préfecture de police, lui a rendu visite chaque jour dans sa cellule. Il a aussi assisté à ses derniers moments : en 1934, il les raconte dans Paris-Soir du 19 septembre 1934.

Voici l’article du Paris-Soir :

L’article du Paris-Soir du 19 septembre 1934

« La vie et la mort de Mata-Hari n’ont pas fini de susciter des commentaires et des polémiques.

Voici que maintenait qu’à la suite de la puplication d’un livre écrit par un Hollandais, compatriote de la « danseuse rouge », les journaux outre-atlantique puplie sur l’espionne célèbre de soi-disant « révélations », au cours desquelles oms exploitent surtout longuement l’histoire de sa fin romanesque à la Carponnière de Vincennes, telle que l’imaginèrent certains romanciers et auteurs dramatiques dont la thèse prévalut jusqu’à aujourd'hui.

Il nous a semblé intéressant, pour rétablir un point d’histoire, de demander à la seule personne qui puisse apporter un témoignage incontestable sur les derniers moments de Mata-Hari de conter dans nos colonnes l’exacte vérité sur son exécution.

Mr. le Docteur Léon Bizard, médecin chef de la Préfecture de Police, qui fut le médecin de Saint-Lazare (prison de), a bien voulu, pour nos lecteurs, renoncer sur cette question au silence qu’il gardait depuis dix-sept ans.

Plus tard, dans l’émouvante histoire de sa vie Marthe Richard évoquera pour nos lecteurs la véritable physionomie de Mata-Hari, telle qu’elle la vit « opérer ».

C’est dans la matinée du 13 février 1917 que Mata-Hari, de son vrai nom Margaretha Geertruida Zelle, épouse du capitaine M.J. Mac Leod, arrêtée dans un Palace des Champs-Elysées, par le commissaire Priollet, fut conduite à Saint-Lazare.

Jusqu’à son exécution, qui eut lieu à Vincennes, à la Carbonnière, le 15 octobre, elle ne devait plus quitter cette prison, sinon pendant les deux journées du 24 et 25 juillet, où elle comparut devant le Conseil de Guerre qui la condamna à mort à l’unanimité.

Exactement durant huit mois, chaque jour, seul ou le plus souvent en compagnie de la bonne sœur Léonide, tous les matins, je visitait l’espionne dans sa cellule, la pistole 12, modeste chambre aux murs badigeonnés de chaux ayant donné asile aux plus célèbres prisonnières.

D’abord seule dans sa cellule, on dressa dès sa condamnation à mort de la danseuse trois lits parallèles et deux détenues spécialement choisies furent placées auprès de l’espionne, couchant l’une à sa droite, l’autre à sa gauche.

À part les religieuses et moi-même, en dehors de Me Clunet, son avocat, qui lui était passionnément dévoué, du Pasteur Arboux et du vénérable abbé Doumergue, aumônier catholique de Saint-Lazare qui venait sur sa demande la voir et avec qui elle aimait à s’entretenir, Mata-Hari ne reçut jamais aucune visite dans sa cellule.

Jamais, pendant ces huit mois de détention on ne lui porta – quoi qu’on est dit – ni fleurs, ni friandises.

Jamais, en dehors de la correspondance officiel ayant trait à son procès, Mata-Hari ne reçut aucune lettre particulière et les trois lettres qu’elle écrivit elle-même avant sa mort furent confisquées.

Mata-Hari n’a jamais douté qu’elle serait fusillée

L'Intransigeant du 15 octobre 1917

La légende selon laquelle elle aurait cru que son exécution ne serait qu’un simulacre n’est jamais venue jusqu’à ses oreilles.

D’abord réservée, puis peu à peu devenant de plus en plus confiante, elle nous a seulement affirmé un jour que si elle le voulait, elle pouvait par ses relations, faire élargir dix dès nôtres incarcérés en Allemagne, mais elle mettait comme condition d’être remise en liberté, préférant la mort aux travaux forcés.

Sœur Léonide, après sa dure journée, ne quittait pas l’espionne avant qu’elle ne fut couchée. Celle-ci, chaque soir, avec un regard qui se fessait plus angoissé, interrogeait la sœur d’une voie tremblante :

Croyez-vous, chère petite mère que je puisse dormir tranquille ?

Léon Bizard (1872-1942)

Le réveil

Le lundi matin 15 octobre peu après quatre heures, j’arrivai à Saint-Lazare.

Il fessait froid. Devant la Gare de l’Est, des permissionnaires chantaient, d’autres, allongés sur le trottoir, dormaient sur leur sac.

Dans la cour de Saint-Lazare, déjà son alignées les quatre automobiles du « cortège », éclairées et stores baissés.

J’entre, et tout de suite je constate que si nous étions une trentaine « d’invités » lors des exécutions précédentes, nous sommes cette fois plus de cent.

Toute cette assistance, parlant à voix basse, me paraît pâle, un peu.

Tout à coup, une voix mâle retentit. C’est le commandant Julien qui annonce :

Voici l’heure messieurs, on va monter.

En hâte, la foule des assistants se précipite. Mais le colonel Somprou, Président du Conseil de Guerre, apercevant cette affluence, commande alors avec fermeté que, seules les quelques personnes autorisées monteront jusqu’à la cellule.

À ce moment, un petit vieillard à figure blême, qui n’est autre que Me Clunet, se fraya un passage jusqu’à l’officier et l’interpelle d’une voix que l’émotion fait trembler :

Commandant ! Commandant ! Excusez-moi, je ne me sens pas le courage de monter, mais dites-lui bien que, jusqu’au bout je ne l’aurai pas abandonnée.

Je n’ai pas à faire vos commissions, Maître, réplique durement l’officier, ce que vous à dire à cette femme , dites-le vous même.

Et l’avocat se soutenant à peine, suivit le petit cortège qui monte jusqu’à la cellule…

On arrive jusqu’au greffe du premier étage, puis on suit le long couloir faiblement éclairé par un bec papillon et nous remarquons que pour amortir le bruit qui aurait pu donner des soupçons à la condamnée, les bonnes sœurs ont jeté des bouts de tapis, des couvertures sous nos pas.

Sœur Léonide ouvre la cellule. L’officier voyant trois femmes couchées lui demande :

Laquelle ?

Celle du milieu, répond la religieuse.

Mata-Hari dont j’avais fait doubler la veille la dose de somnifère dort entre les deux détenues-gardiennes qui ont compris et, sanglotent, sautent de leur lit.

La sœur chargée de veiller est à genoux et prie son visage de cire éclairé par la lueur tremblotante d’une veilleuse.

« Je serai mourir sans faiblir »

Le commandant secoue la condamnée qui ouvre aussitôt les yeux d’épouvante, cherche à parler, et se redressant sur son séant, se soutenant de ses poingts crispés placés en arrière, écoute l’officier lui annonçant d’une voix ferme mais émue :

Zelle ayez le courage, le Président de la République a rejeté votre pourvoi, l’heure de l’expiation est venue !

Alors, il se fait un grand silence. On ne voit dans la pénobre que deux yeux qui flamboient.

D’une voix sourde d’abord, mais qui peu à peu se raffermit, Mata-Hari répéte :

Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible !…

Très vite, elle reprend ses esprits, à sœur Léonide qui penchée vers elle l’encourage et répond :

Ne craigniez rien ma sœur, je saurai mourir sans faiblir, vous allez voir une belle mort…

Je reste près d’elle pendant qu’on commence à la vêtir, étendue sur son lit : sa chemise – qui n’était pas de toile grossière comme on l’a prétendu souvent, car son linge personnel lui avait été laissé – se soulève, tandis qu’elle fait un mouvement et découvre plus haut que les jambes. Une religieuse veut la couvrir :

Oh ! Ces Français ! À quoi ça va leur servir de m’avoir tuée, si encore ça leur faisait gagner la guerre. Ah ! Ils verront !… C’est bien la peineque je fasse tant pour eux… Ma Sœur, je voudrais que l’on me donne ma robe la plus chaude car il fait froid ce matin. Je veux aussi mes petits souliers, j’ai toujours aimé être bien chaussée.

Pendant ce colloque, la danseuse tranquillement se poudrait !… Puis tout à coup… :

J’ai à parler à mon pasteur.

Mr. Arboux s’approche ; il a demandé un peu d’eau, dont on emplit un gobelet de prisonnière qui tremble dans sa main. Sur sa demande, on ke laisse s’entretenir en tête à tête avec celle qui va mourir. Mata-Hari recevait in extremis, le baptême.

Pendant que s’accomplit cette très simple cérémonie, je reste à la porte de la cellule en compagnie de Me Clunet.

Quelle tristesse, me dit le vénérable avocat, c’était pourtant une belle intelligence : c’est grand dommage vraiment qu’il n’ait pas été possible, au lieu de faire disparaître de se servir de ses qualités au bénéfice de notre pays.

Portrait de Sœur Léonide, née Justine Julie Lateuligne (1852-1948) qui garde Mata-Hari, photo de Henri Manuel vers 1925, Musée du Carnavalet / Paris

Mais la porte s’ouvre ; le pasteur sort les yeux embués de larmes et nous invite à renter.

Mata bien droite, sans soutien, l’air altier paraît vraiment nous recevoir. Revetue de sa robe tailleur bleue, à lonque jaquette bordée de blanc, son chapeau canotier sur la tête, elle se gantent posément.

Je suis prête, dit-elle, avec assurance.

Puis s’adressant à la Sœur Léonide :

J’ai beaucoup voyagé ma sœur, eh bien ! Cette fois c’est mon dernier voyage. Je part pour la Grande Gare, mais n’en reviendrai pas… Allons, voyons, faites comme moi petite Mère, ne pleurez pas !…

Un officier s’approche, lui demandant comme le veut la Loi, si elle n’a aucune révélation à faire.

Aucune, répondit-elle sèchement, et, si j’en avais une, vous pensez bien que je la garderai pour moi.

La Loi voulait aussi qu’une dernière question lui fut encore posée, c’est le Docteur Socquet, médecin expert, qui en est chargé. Tout doucement, il demande à Mata-Hari si elle n’a aucune raison de se croire enceinte.

Oh ! Sûrement non, réplique-t-elle presque en riant, comment voudriez-vous ?…

Elle s’engage alors dans le long couloir sembalnt conduire le cortège qui l’entoure.

Petite Mère, je vous prie, donnez moi le bras, ne me quittez plus.

Alors, me raconte Sœur Léonide, je lui tendis le bras et je pris sa main dans la mienne.

« Que de monde ! Quel succès ! »

On descend l’escalier et la porte s’entr’ouvre sur le guichet d’entrée. Il y a foule et la danseuse sourit :

Oh, que de monde !… Quel succès !…

Puis, sans s’émouvoir, elle parcourt les quelques mètres qui la séparent du greffe où a lieu la levée d’écrou.

Zelle Margaretha Geertruida, dite Mata-Hari, est dès cet instant remise à l’autorité militaire pour être exécutée à Vincennes.

C’est à ce moment qu’elle obtient la faveur d’écrire quelques lettres. Mata-Hari dégante sa main droite et, de sa grande écriture qui ne tremble pas , rédige posément trois lettres, inscrit l’adresse sur les enveloppes, puis les remettant au directeur, ajoute souriante :

Surtout, qu’on ne brouille pas les adresses, ça ferait du beau !…

Pendant ces dix minutes, je me tiens à un mètre à peine, épiant une faiblesse possible qui ne se produit pas.

J’ai terminée, dit-elle.

Me Édouard Clunet (1845-1922), l’avocat de Mata-Hari

À cet instant pathétique, les gendarmes prennent possession de la prisonnière et la font monter dans la voiture où prennent place Sœur Léonide et le pasteur Arboux ? Durant le trajet, le pasteur est tellement ému, qui peut à peine parler.

Mata-Hari fait ses adieux et répète :

Je part pour la Grande Gare dont on n’en revient pas.

Et elle ajoute encore :

Ah ! C’est Français !…

Sœur Léonide l’exhorte à la résignation et au pardon :

Je ne voudrais pourtant pas pardonner aux Français, répond-elle.

Oui ma fille, il le faut.

Et Mata-Hari répond à mi-voix :

Puisque vous le voulez, ma chère sœur, je pardonne.

L’exécution

On arrive à Vincennes.

L’exécution est fixée à six heures quinze, le jour vient de poindre à peine. Les troupes sont alignées sur trois lignes et, tandis que la voiture s’arrête à l’extrémité du carré, face au poteau, retentit une sonnerie de clairons.

Alors, au milieu d’un silence impressionnant, Mata-Hari met pied à terre, tend la main à Sœur Léonide pour l’aider à descendre et lui prend le bras. Entourées de gendarmes, la religieuse priant à haute voix et celle qui va mourir s’avancent lentement…

Mata-Hari descend de la voiture pour aller vers son lieu d’exécution

Arrivée près du poteau, Mata-Hari se séparant brusquement de la sœur lui dit :

Embrassez-moi vite et laissez-moi ; mettez-vous sur ma droite, je regarderai de vôtre côté. Adieu !…

Puis, tandis qu’un officier donne lecture du jugement, la danseuse, qui a refusé de se laisser bander les yeux, se place d’elle-même contre le poteau, une corde qui n’est même pas nouée passée autour de sa ceinture…

Le peloton d’exécution, composé de douze chasseurs à pied, quatre soldats, quatre caporaux et quatre sous-officiers, est à dix màtres d’elle… Mata-Hari sourit encore à Sœur Léonide agenouillée et fait un geste d’adieu.

Le peloton d’exécution face à Mata-Hari

L’officier commandant lève son sabre… Un bruit sec et la Danseuse Rouge s’écroule tête en avant, masse inerte qui dégoutte de sang…

Texte de Dr. Léon Bizard, médecin de Saint-Lazare. »

Le coup de grâce

Une légende raconte qu'elle aurait jeté un baiser aux soldats avant qu'ils ne fassent feu.

À Nîmes, le jeudi 5 mai 2022

Cazorla Denis y Almería

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