Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'HISTOIRE POUR TOUS

Ecrire et faire aimer l'histoire

L'Histoire pour Tous N°11 : Meurtre au Hameau de La Bastide à Goudargues (Gard) en 1694.

 

L'Histoire pour Tous N°11

 

Bienvenue à Toutes et à Tous

 

Ce numéro est consacré à un article apparut de Mémoire de l'Académie de Nîmes en 1970 où l'auteur raconte un meurtre à Goudargues ((Gard)) dans la Noblesse au temps de Louis XIV, dont voici le récit.

 

Bonne lecture.

 

Titre : Un Meurtre sous Louis XIV par Mr Roger Chastanier, Membre résidant.

 

 

Un Meurtre sous Louis XIV. Tel est mon titre. Il a le mérite d'être bref. Un titre plus exacte, mais plus long, pourrait être « Étude de mœurs de la noblesse terrienne, pendant les dix dernières années du XVIIe siècle dans un village resté en majorité protestant. » C'est sous entendre que le meurtre n'aura guère qu'une importance épisodique. C'est peut-être aussi laisser entendre que les victimes ne seront guère pleurer, même pas par la veuve, très attachée à ses intérêts matériels.

 

Dans un travail beaucoup plus vaste datant de près de cent ans, un de nos confrère, l'Abbé Roman, avait consacré quelques pages à ce meurtres. Mais, il ne semble pas s'être penché sur les volumineuses pièces de l'information alors ouverte par la Cour temporelle du Diocèse d'Uzès, et surtout il n'a fait qu'effleurer ce que nous pourrions appeler aujourd'hui « l’environnement » d'une fusillade qui a mis deux hommes par terre. Peut-être sa qualité d'ecclésiastique le gênait-elle pour expliquer certains détails scabreux, cause pourtant du drame. Et cependant c'est le milieu, c'est la mode de vie des personnages et leurs réactions morales qui me paraissent plus intéressants que les fait eux-mêmes.

 

Par contre, pour tout ce qui suit l'arrêt de condamnation d'Uzès, l'Abbé Roman a eu à sa disposition quelques lettres de la famille du condamné qui ont quitté la région depuis et que je n'ai plus retrouver. Je suivrai donc sur ce point son exposé tout en le complétant ça et là par quelques papiers de famille. Et nous verrons ainsi comment pratiquement on obtient en 1695 une grâce royale. Et ceci ne manque pas de pittoresque.

La scène c'est le très jolie village de Goudargues (carte à gauche) au nord-est de nôtre département près de la Cèze à l'endroit ou la vallée du Rhône touche les garrigues de la Lussanenque... ((l'auteur d'écrit le village, ses alentours et un peu de son historique et son monde protestant)).

 

Au XVIe siècle les idées de Calvin se répandirent dans toute la région, propagées par les colporteurs que protégeaient les Pellegrin seigneur de la Bastide d'Orniols. Le pays tout entier passa à la réforme. La messe n'était plus célébrée à Goudargues. Abbés et moines disparurent convertis ou chassés. Restaient sans maître le immense propriétés de l'Abbaye de Goudargues.

 

Coligny de passage dans la région, donna l'ordre de procéder à la vente des biens ecclésiastiques abandonnés et chargea l’exécution de cette vente Saint Roman, un bien curieux personnage, ancien archevêque d'Aix passé à la Réforme, devenu chef militaire et sorte de vice-roi de Nîmes, Uzès, Viviers, Mende et le Puy.

 

A 10 km de Goudargues, par les chemins de bois, on atteint Lussan dont le château, tout neuf au XVIe siècle abritait le Seigneur Gaspard d'Audibert de Lussan et sa maison. Quelle bonne affaire pour ce seigneur s'il y pouvait acquérir les biens de l'abbaye qui confrontaient si opportunément les siens. Depuis peu rallié à la Réforme, il acquit pour une somme très modique ces biens difficiles à vendre, en indivision avec Jean Pellegrin Seigneur de la Bastide d'Orniols, dont le château se dresse encore à 1 500 m de Goudargues, au milieu des arbres qu'arrose là aussi une source vive.n Peut après, on retrouve les Audibert seuls maîtres des biens de l'abbaye. Quant aux manants, au lieu de payer la dîmes à l'abbé, payaient des redevances au seigneur.

 

Le Sire de Lussan estima que si, pour le roi, Paris valait une messe ((Henri IV)), pour un aussi petit Sire que lui, l'Abbaye de Goudargues valait bien autant, et sans hésiter, il se fit Catholique, au grand scandale de ses vassaux Lussanais. Il obtint aussi d'être nommé Abbé Commendataire avec pouvoir de désigner son successeur en faveur de l'un de ses cadets. On lui fit valoir qu'un abbé devait avoir reçu les ordres et exercer les fonctions claustrales : qu'à cela ne tienne, son fils allait se faire d'église et en attendant on allait placer à Goudargues un Prieur Claustral à la portion congrue. Le Cadet Lussanais, Prieur Commendataire continuait à toucher les revenus de l'abbaye., cette solution, admise au XVIIe siècle, nous étonne d'autant plus que ledit Cadet ne reçut jamais les ordres, malgré la promesse faite. La confusion des temps était telles qu'elle fut acceptée et se prolongea pendant plusieurs générations. Cependant les Cadets Lussanais, par la suite, reçurent effectivement les ordres, et, en 1693, l'Abbaye de Goudargues avait pour Prieur Claustral l'Abbé Bruneau réduit à la portion congrue.

 

Et nous arrivons en l'an 1694 ou commence la tragi-comédie que je veux vous raconter.

1694 : Neuf auparavant, Louis XIV avait révoquer l’Édit de Nantes. Ce pays, presque entièrement Protestant, en avait été bouleversé. Dans cette lutte douloureuse pour la liberté de conscience qui, c'est prolongée jusqu'en 1787, il y eut dans les deux camps des figures admirables : Chez les Protestants des confesseurs de la foi et des martyrs, chez les Catholiques des hommes et des femmes animés d'un esprit vraiment évangélique, qui tentèrent tout pour adoucir les souffrances de ces tristes temps et amener plus de fraternité entre les hommes.

 

Mais un pays ne peut être uniquement peuplé de saints et de héros, et on trouve dans chaque villages des gens qui ne sont ni des héros, ni des saints mais sont affligés des faiblesses habituelles à notre pauvre humanité. Et, j'espère bien ne choquer aucun de vous si les personnages dont je vais parler, n'ont pas eu dans cette histoire une conduite particulièrement édifiante. C'est l'humble vérité humaine.

 

En cette fin du XVIIe siècle deux familles dominent Goudargues par leur puissance et leurs richesses : les Audibert Comtes de Lussan et les Pelegrin Seigneurs de La Bastide.

 

Je vais vous parler des premiers.

Armoiries des Pelegrin d'azur, surmontée de 9 coquilles en 4,3,2.

Les Pelegrin habitaient le joli Château de la Bastide qui existe encore, très restauré par son propriétaire actuel ((en 1970)), Mr Robert Méric un de leurs descendants, si je me trompe. Ce Château domine une boucle de la Cèze, qui enserre à demi un beau parc où une source vive arrose de grands arbres ; charmant paysage de verdure et d'eau au pied des garrigues pierreuses.

 

Les Pelegrin étaient de temps immémorial Seigneur du pays et ils possédaient plus de la moitié des terres de la région bien entendu, exclusion faite de celle qui appartenait à l'Abbaye.

 

Entre les deux familles, rivalité de prestiges, de rang, dans la noblesse locale, chacun prétend au premier.

 

Les La Bastide étaient fort bien apparentés. La mère et la femme de l'actuel seigneur étaient des de La Tour Gouvernet, apparentés au Maréchal Turenne, très bien à la cour du roi et puissant.

 

Armoiries des Audibert de Lussan; de gueules couronné d'or.

 

Les d'Audibert étaient cousins des Condé. L'actuel Comte avait fait ses premières armes à Senef, sous son cousin le Grand Condé, dont il était l'aide de camp.

 

A cette rivalité de prestige, se mêlaient des rivalités plus terre à terre.

L'Abbaye possédait des centaines d'hectares de bois et de pâturages à moutons. Les propriétaires de Goudargues et les manants du Seigneur de La Bastide gardaient leurs troupeaux ou faisaient leurs fagots sur leurs propres terres jouxtant celle de l'Abbaye. Franchissaient-ils quelques fois les limites pour aller brouter l'herbe d'autrui ? C'est fort probable. Et d'accord, où étaient ces limites mal définies sur le terrain et dans les reconnaissance féodales?d'où une inépuisable sources de procès, qui de siècle en siècle opposaient l'Abbaye à la communauté civile de Goudargues dont le Seigneur de La Bastide était pratiquement le chef.

 

Ajoutons à cela que les Lussan étaient retournés au Catholicisme sous Henri IV, seuls de toute la région, tandis que les La Bastide étaient restés Protestant zélés. A la Révocation, ne voulant pas émigrer, ils étaient devenus « Nouveaux Convertis » mais apportaient toute la mauvaise volonté possible dans l'exercice de leur nouvelle religion et gardaient des contacts étroits avec des prédicants et des émigrés Huguenots notoires.

 

Voilà donc beaucoup de raison de se disputer pour des Gentilshommes turbulents et querelleurs car c'est de Gentilshommes de Province vivant sur leurs terres que nous nous occupons. L'histoire et la littérature nous ont tant parler de la Cour du Roi Soleil, que, quand nous évoquons la Noblesse Française en 1694, nous imaginons de beaux courtisans emperruqués et couverts de dentelles, glissant discrètement dans les salons de Versailles, menant des intrigues feutrées qui se traitaient à mi-mots, par insinuation et passant leurs journées à guetter un regard de Madame de Maintenon ou un geste du Roi.

 

Mais ces courtisans avaient en Province des cousins qui ne quittaient leurs terres que pour aller aux Armées servir le Roi dans ses guerres.la volonté de Louis XIV, qui avait domestiqué la Cour ne les avait guère policés et ils ressemblaient beaucoup plus à leurs parents du temps de La Fronde, voire à ceux des Guerres de Religions, qu'à Mr de Saint-Simon.

 

Nous allons voir de plus près une pittoresque famille de ces hobereaux avec les Pelegrin de La Bastide d'Orniols.

 

L'actuel Seigneur se nommait Louis. Très jeune, on l'avait envoyé aux armées apprendre à servir le Roi. Son illustre cousin, le Maréchal de Turenne, alors Huguenot lui aussi, avait bien voulu prendre l'adolescent à sa suite. Le jeune Louis montait bien à cheval connaissait à fond le maniement des armes. Quant ont le présenta au Maréchal, celui-ci donna l'ordre de compléter son équipement et on mis entre les mains du jeune homme une de ces très longues piques, comme on en voit sur le tableau de Vélasquez. Le garçon, embarassé par cet instrument, s'écria avec un bon accent Méridional : « Eh, que veut-on que je fasse de cette longue broche ? » Turenne éclata de rire : « Mon garçon, c'est pour embrocher les ennemis, tu enfileras les lansquenets là-dessus » - « Ah bon répondit le garçon qui comprenait la plaisanterie, et quand j'en aurait enfilé tout le long de la broche, que ferai-je ? » - « Mon garçon reprit le Maréchal riant de plus belle, on t'en donnera une autre. »

 

Louis de Pelegrin fit donc son instruction dans les camps et les batailles, puis revint à Goudargues. Ses parents organisèrent son mariage avec une cousine, Marie de La Tour du Pin Gouvernet de la famille de sa mère. Et désormais, il passa sa vie, tantôt aux armées, où le Roi l'appelait avec le ban et l'arrière ban, tantôt en son Château de La Bastide où il dirigeait les travaux des paysans et gérait ses affaires.

 

De quelle manière, il s'y prenait pour gérer ses affaires, j'en ai un exemple trouvée dans quelques papiers de ma famille.

 

Au cours d'un de ces innombrables procès qui opposait l'Abbé de Lussan, Prieur Commendataire de l'Abbaye, à la communauté civil de Goudargues, dont Louis de Pelegrin était pratiquement le chef, l'abbé de Lussan chargea Maître David Chastanier, Notaire à Lussan, d'aller instrumenter à Goudargues. Un notaire Protestant, chargé des affaires d'une abbaye ! Mais a Lussan, il n'y avait pas de notaire Catholique. Force était donc à la famille d'Audibert d'avoir recours aux services d'un Notaire Protestant.

 

David Chastanier devait aller communiquer au acte aux propriétaires et notables de Goudargues réunit en « Conseil Politique ». Ce conseil se tenait le dimanche matin après la messe dans une maison sur la Place de l’Église.

 

Donc, un beau matin de dimanche, Maître David Chastanier enfourche sa monture, une mule paisible, et par le chemin qui à travers bois mène à Goudargues. Dans la poche profonde de sa casaque, il serrait précieusement les parchemins par lesquels, il allait prouver aux adversaires, le bien fondé indiscutable des prétentions de l'Abbé de Lussan.

 

Il arrive à Goudargues, met pied à terre, donne sa mule à garder à un valet et commence à traverser la Place de l’Église pour se rendre au lieu de la réunion. Les Goudarguois étaient nombreux, ceux qui, après l'Ite Missa est, sortaient de l'église quand David Chastanier traversa la place.

 

A ce moment un groupe d'hommes se précipite avec des cris de menace sur le malheureux notaire. En tête : Louis de Pelegrin pistolet au poing, autour, quatre ou cinq valets armés de fusils ou de bâtons, blasphémant et criant le saint nom de Dieu et poussant des cris de mort. Louis de Pelegrin tire un coup de pistolet, an l'air sans doute, car il n'y eut pas de mal.pendant ce temps, ses valets dévissaient dextrement l'infortuné David Chastanet de sa casaque puis, tous sautant sur leurs chevaux disparaissent dans un grand bruit de sabots emportant la précieuse casaque et les papiers qu'elle contenait. David Chastanet essaie de crier d'appeler à l'aide puis s'apercoit avec surprise qu'il était seul sur la place. La foule qui sortait de l'église avait disparu, volatilisée, toutes les portes étaient fermées, le silence régnait. David Chastanet ne put qu'aller reprendre ses esprits chez le Prieur Claustral qui dépendait de l'Abbaye de Lussan. Fureur de l'Abbé Commendataire. Maître Chastanet porta plainte pour vol à main armée. Information requise. Et bien, le croira-t-on ? On ne trouva aucun témoin. Sur la Place, à la sortie de la grande messe, personne n'avait rien vu, personne n'avait rien entendu. Louis de Pelegrin tenait Goudargues d'une main ferme. L'Abbé ne retrouvera jamais ses parchemins, et Maître Chastanet ((grand-oncle de l'auteur)) ne retrouvera pas sa casaque. Voilà comment les Pelegrin traitaient les hommes de lois.

 

Gravure ci-dessus: Duel au XVIIe siècle, tel que les de Pelegrin étaient des fervants adepte.

 

Voyons maintenant son frère ((son oncle)) Hector, cadet de la famille, Seigneur de Cadignac. Il était parti très aussi aux armées, faire son éducation de gentilhomme. Il en revint, sachant fort bien manier les armes. Un jour, un jeune gentilhomme de ses amis vint le prier de lui servir de second dans un duel. C'est un service qui ne saurait se refuser. Accompagné d'un troisième gentilhomme ils arrivèrent sur le terrain et y trouvèrent leur adversaire flanqué de deux amis. Ce fut un beau duel en règle, trois contre trois, tel que nous en voyons dans « Les trois Mousquetaires ». Le Jeune Seigneur de Cadignac tirait fort bien l'épée, si bien qu'il étendit son adversaire raide mort. Cela ne pesa nullement sur sa conscience, puisque les lois de l'honneur avaient été respectées. Depuis Richelieu, les Édits du Roi ne plaisantaient pas. Le Parlement de Toulouse condamna à mort Mr de Cadignac ((5 septembre 1659)) . Mais si les Édits du Roi ne plaisantaient pas, il y avait cependant des accommodements. Un séjour à l'étranger, quelques amis bien placés à la Cour et le Roi accorda sa grâce ((1666)). Au Parlement de Toulouse, on trouva cependant de fort mauvais qu'un arrêt ne fut pas exécuté. La grâce ne fut pas enregistrée : et ces La Bastide, gentilshommes turbulents indociles, et, qui pis est, encore Huguenots furent fort mal notés par Messieurs du Parlement.

 

Nous connaissons Louis Pelegrin, chef de famille, Hector de Cadignac son frère ((son oncle)). Voyons la sœur de Louis Mademoiselle de La Bastide. Celle-ci, s'ennuyant au château se laissa conter fleurette par un roturier du voisinage. Le flirt alla même si loin, que la jeune personne s'aperçut qu'il allait avoir des suite. Elle alla trouver son galant et le mit en demeure de l'épouser. Un mariage avec une fille noble eut été certes un grand honneur mais le galant épouvanté par le caractère altier de la Demoiselle, refusa net. Mal lui en prit : un jour qu'il passait devant le château, Mademoiselle de LaBastide, embusquée à une fenêtre, tira sur lui un coup de fusil et l'étendit raide mort. Cette jeune personne ressemblait plus aux héroïnes de La Fronde, qu'aux dames de l'entourage de Madame de Maintenon. Gros scandale ! Le chroniqueur nous dit naïvement que sa famille eut bien de la peine à la tirer de là, et besoin de tout son crédit au Présidial. (( avant eux, un autre Louis de Pelegrin, seigneur de Gaussargues, et Jean de Pelegrin, Seigneur de la Bastide, avaient été pareillement condamnés à mort, avec Etienne leur fauconnier, pour un meurtre commis par eux sur la personne de Jean de Nicolay, Seigneur de Cavillargues, ((décidément c'est de famille)). L'arrêt avait été rendu en 1608, à l'instance de Jacques de Nicolay, Seigneur de Méas.))

 

La famille rivale des Audibert de Lussan habitait à 10 km de Goudargues mais ils avaient sur place des gens à eux, d'abord et surtout le Prieur Claustral, l'Abbé Bruneau ((Jean-François)) qui avait la Cure d'âmes à Goudargues et à La Bastide.

 

Photo ci-dessus: Le Prieuré d'Orniols, sise au Hameau de La Bastide, qui fut construit par la farouche velonté de l'Abbé Jean-François Bruneau.

 

Plein de zèle, l'Abbé s'avisa de faire construire une église à La Bastide. Peut-être, était-ce beaucoup trop demander. Le hameau n'avait pas quinze familles, toutes faisant encore très officiellement profession de la « Religion Prétendue Réformée » et Goudargues n'était qu'à 1 500 pas. L'Abbé Charles de Lussan le soutint, l’Évêque d'Uzès appuya sa demande, et l'Intendant envoya l'ordre de construire.

 

Mais les Pelegrin avaient encore à ce moment le droit d'avoir un Pasteur dans le château. Le prêche avait lieu tous les dimanches et suffisait aux habitants tous Protestants. L'Abbé essaya de faire annuler ce droit. Fort de l’Édit de Nantes, Pelegrin résiste :  « On veut le perdre en frais. » L’Évêque intervient en vain. Un arrêt conserve aux Pelegrin le prêche dans le château. Le Pasteur restera à La Bastide jusqu'à la Révocation.

 

Cependant il fallait construire l'église. Oui, mais on ne trouve pas l'emplacement, puis on ne trouve pas de pierres. Aucun maçons ne veut s'en charger. Les pierres trouvées, il faut du sable. Seul Pelegrin a le droit d'en sortir de la Cèze. Puis de la chaux. Il faut du bois pour cuire les pierres, et en faire de la chaux. Et la forêt est aux Pelegrin. Plusieurs années passèrent. L'église fut enfin construite et solennellement consacrée. Hélas, les paroissiens de l'Abbé ne se pressaient guère sur les bancs lors de la messe dominicale et son confessionnal restait désespérément vide.

 

Photo ci-dessus : Le Paisible Hameau de La Bastide, où se déroula cette dragique affaire de 1694.

 

L'Abbé Bruneau avait donc des loisirs. Et que faire devant une jolie rivière, sinon de taquiner le goujon. Un jour donc, il pêchait innocemment à la ligne dans les eaux de la Cèze sous le Château de La Bastide. Madame de Pelegrin vint à passer, surveillant les travaux des champs, pendant que son mari guerroyait au loin. Elle se rappela tout soudain que la famille de son mariavait un droit exclusif de pêche, privilège donc nul s'était soucié depuis longtemps. Aussitôt elle appela des témoins, fait dresser procès-verbal et porte l'affaire devant Messieurs les Maîtres d'Eaux et Forêts de Villeneuve-de-Berg. On dut exhumer des Chartres du XIVe siècle que nul ne savait plus lire.

L'Abbé invoqua la prescription qui ne put être retenue s'agissait là de servitude discontinue et inapparente. L'Abbé de Lussan intervint pour faire tomber le droit de Pacage sur les bords de la Cèze que les Pelegrin détenaient abusivement selon lui. En vain, après deux ans de plaidoiries, de défaut, d'opposition, d'appel, Bruneau fut condamné à quelques sols d'amendes et aux frais du procès, quelques centaine de livres le 19 décembre 1691.

Les Pelegrin savaient fort bien se battre à coups d'épées, mais ils ne dédaignaient pas les coups d'épingles et savaient utiliser la procédure.

 

Des années passent ; les querelles s'enveniment. Une nouvelle discussion naît de la demande de Bruneau de se faire construire un presbytère à La Bastide même, alors qu'il avait à sa disposition celui de Goudargues. Malgré ses efforts, il n'obtint pas satisfaction.

Dans la minorité d'anciens Catholiques, le principal appui de l'Abbé Bruneau était un ménage de petite noblesse – ou du moins qui prétendait être telle – Raymond de Sanciergues, Seigneur Du Bord et fermier du prieuré de La Bastide. Si douteuse que fut sa noblesse, il n'en était pas moins fier et, pour bien établir sa Gentilhommerie, ne sortait jamais que l'épée de côté. Du Bord avait épousé Demoiselle Catherine de Saint-Martin, cousine éloignée des Audibert de Lussan et très vaine de cette belle parenté. Madame de La Bastide regardait évidement cette Dame Du Bord de fort haut, du haut de ses titres authentiques et de ses belles parentés à la Cour. D’où une inimitié entre ces deux dames. Si elles n'avaient pas les raffinements de Versailles, elles étaient aussi pointilleuses sur les préséance que Saint-Simon en personne. Avec les époux Du Bord, vivait le fils d'un premier mariage de la Demoiselle de Saint-Martin, un adolescent, le Sieur de Cabrières. Ils habitaient Goudargues, vivant de quelques terres, et menaient un train modeste ((nous sommes au milieu de l'année 1693)).

Une histoire d'héritage vint encore envenimer ces relations. Un émigré pour cause de religion, décédé à Genève avait testé en faveur de Mademoiselle de La Bastide. Madame Du Bord plus proche parente était rentrée en possessions des biens de l'émigré. Ce testament était-il valable ? N'avait-il pas été antidaté ? N'y avait-il pas de contre lettre ? Les robins ((hommes de robe, magistrat ou homme de lois)) allaient pouvoir s'en donner à cœur joie.

Bref le ton montait. Un jour un bruit scandaleux vola de bouche à oreille et atteignit bien vite le Château de La Bastide : le Prieur Bruneau, mécontent des gouvernantes d'âge canonique qu'il pouvait trouver dans cette population presque entièrement hostile, décida d'abandonner son presbytère et d'aller s'installer chez les époux Du Bord. Le témoignage, lors du procès, nous dit : « Il alla partager le pot et le feu ». Les mauvaises langues dirent qu'il partageait bien autre chose. Madame Du Bord, malgré une maturité décidée avait encore quelques appâts. L'Abbé était plus jeune et mieux tourné que la barbon ((Vieillard,Vieux beau)) du mari. De là a traiter celui-ci de mari complaisant, le pas fut vite franchi et on en fit des gorges chaudes. Un jour que Du Bord passait fièrement dans la rue, l'épée au côté un plaisantin lui lança à pleine voix une chanson du pays : « Garde tes moutons, bergère, moi je garderai les miens ». Tout le monde comprit illusion. Le Seigneur Du Bord gardait bien mal sa brebis. Et désormais, partout où passait le pauvre mari, sous ses fenêtres quand il était chez lui, on entendait chanter, fredonner siffler : « Garde tes mouton, bergère ».

Ce pauvre Du Bord nous apparaît à travers les témoignages comme un faible et un violent. Guère intelligent, entièrement dominé par son altière épouse, il cédait à des moments d'emportement, clamait devant tous qu'il allait tirer vengeance et proférait des menaces contre les Pelegrin. Bien entendu, ces menaces étaient rapportes au château, pendant que Du Bord dégrisé ne passait pas aux actes. Il avait des moments de bons sens. Un jour à table, sa femme l'excitait à aller châtier dans son château Louis Pelegrin. « Madame, répondit-il avec dignité, si j'y allais, il me tuerais en se défendant. »

 

A d'autres moments il déclarait à un habitant du village qui en témoigna : « Ce Pelegrin, que dirais-tu si j'allais l'attendre et que je le tuasse. »

Évidemment les La Bastide n'étaient pas gens à souffrir les menaces avec une douceur évangélique. Un jour où Du Bord se trouvait sur son aire près de sa maison. Il vit surgir de derrière un bouquet d'arbres une troupe inquiétante : Louis de Pelegrin, son frère Hector de Cadignac, son beau-frère de La Tour du Pin Baron de Verfeuil et quelques valets, que certains témoins disent armés de fusils, d'autres disent de bâtons. La troupe s'avançait vers lui. Du Bord avait de bons réflexes. Le fusil qu'il portait toujours sur l'épaule, même pour aller aux champs fut en clin d’œil dans ses mains. Mettant en joue le Sire de Verfeuil, Du Bord leur cria de ne pas avancer sinon il tirait. « la vie du Sire de Verfeuil répondrait à la sienne ». Vociférant, mais interdit tous s'arrêtèrent. A ces clameurs, Madame Du Bord sortit d'une maison toute proche et joignit ses glapissements aux injures qu'échangeaient les hommes. Un procès-verbal nous dit en toute lettre qu'elle traita ceux du château de... – excusez moi messieurs – je ne serais répéter le mot, il ne figure pas au dictionnaire de l'Académie ((rappel, article de 1970)), mais il fait allusion aux qualités viriles de ses antagonistes. Madame Du Bord, bien que née Saint-Martin était fort mal embouchée.

Dans tout cela, le Baron de Verfeuil, toujours couché en joue trouvait sa position désagréable. Cela l'incita à tenter une médiation. En sa qualité de plus âgé, il parvint à faire entendre des paroles de paix, assura que l'on venait seulement pour discuter, pour s'entendre entre gens d'honneur. Il se porta garant de ses compagnons. Si seulement le Sieur Du Bord voulait bien baisser son fusil, nul ne l'attaquerait. Il parla si bien que Du Bord se laissa convaincre. Et on discuta et au bout de deux heures, le Sire de Verfeuil réussit à persuader les adversaires de conclure un accord. Ils s'embrassèrent et tout fini bien. Non, tout ne finit pas. C'est impossible! L'épisode suivant est digne de Molière. Madame de La Bastide avait une servante nommée Dauphine plus paysanne que soubrette un peu trop forte en gueule et fort impertinente. Dauphine rencontra la servante des Du Bord et ricana insolemment. Celle-ci répondit fort haut et Dauphine les poings sur les hanches, sortit tout le paquet et chanta : « Bergère », tout cela en clameur suraiguës au milieu d'un cercle de Goudarguois hilares. Il s'ensuivit un beau crêpage de chignons et la servante des Du Bord en larmes courut se réfugier chez sa maîtresse et lui répéter la querelle.

 

Madame Du Bord était seule ; quand son mari rentra, il la trouva hors de sens de colère. Lui aussi s'emporta et couru au château. Justement Dauphine devant la porte pérorait ((jacasser, fanfaronner)) ; au milieu d'un groupe racontant fièrement la scène. Raymond Du Bord fondit sur elle, la saisit aux cheveux et lui administra une magistrale paire de soufflet. Aux hurlement de sa servante, Madame de La Bastide sortit du château, clamant que seuls les seigneurs avaient le droit de corriger leurs manants. Du Bord satisfait par cet esclandre parti en ricanant très haut.

 

Quand le soir, Louis de Pelegrin rentra chez lui, il trouva sa femme en proie à une fureur indescriptible. « Ce petit noblaillon s'était permis d'insulter les Pelegrin de La Bastide La tour du Pin Gouvernet. » Seule une correction pouvait laver cet affront. Et voilà Pelegrin qui enfourche son cheval et galope à Goudargues devant la maison des Du Bord. Celui-ci, dira plus tard un témoin, sortit de chez lui en corps de chemise et coiffe de nuit. Sommé de s'expliquer, il déclara noblement que « ses raisons étaient du côté de son épée ». Malgré tout, les épées ne sortirent pas du fourreau et après beaucoup de cris chacun rentra chez soi.

 

Ému de tous Ces incidents, le Juge de Goudargues adressa à Mr de Broglie, Intendant de la Province, un rapport dont nous tirons ces détails. Celui-ci redoutant des troubles dans cette région surexcitée interdit aux adversaires de sortir en armes. Bien entendu, ils ne tinrent aucun compte de cet ordre, tout en s'en faisant réciproquement un nouveau grief. Maintenant la comédie était terminée.

Le 27 Juillet 1694, Madame Du Bord escortée du Prieur Bruneau partait pour affaires à Saint-André-de-Roquepertuis. Le Prieur était monté sur un bon gros cheval. Madame Du Bord aurait bien voulu chevaucher une haquenée, digne de son rang, mais ses moyens étaient modestes et, nous dit le procès, elle montait une bourrique.

 

Ils rencontrèrent un cavalier venant vers eux ; Hector de Cadignac portait son fusil à l'épaule. Il était suivi d'un grand diable de valet connu sous le nom de Saint-Jean, armé lui aussi.

 

Apercevant de loin le couple Bruneau - Du Bord, il lança par dessus son épaule au valet une plaisanterie grasse et tous les deux s'esclaffèrent. Madame Du Bord pinça les lèvres et continua son chemin très raide sur sa bourrique. En les croisant, elle remarqua d'une voix aigre que les ordres de Monsieur l'Intendant le port d'armes était bien mal respecter. Les autres riant toujours poursuivirent leur chemin vers Goudargues en chantant « Bergère ».

Les cavaliers passèrent devant la maison des Du Bord. Celui-ci justement sur le pas de sa porte n'était pas armé ; en voyant l'un de ses ennemis en équipage si menaçant, il pâlit, mais ne dit rien. Cadignac passa la tête haute, sans saluer et entonna à pleine voix : « Garde tes moutons, bergère. »

 

Raymond blêmit sous l'insulte. Il rentra chez lui, arpenta la maison, roulant des idées de mort dans sa tête. C'est dans cette état là que le trouva peu après, le jeune Antoine Escoffier de Cabrières. On se souvient que cet adolescent, fils d'un premier mariage de Madame Du Bord, vivait avec eux. Élevé par sa mère en gentilhomme, il prenait les questions d'honneur avec toute la fougue de la jeunesse. Il bondit au récit de son beau-père : il fallait laver cette insulte dans le sang... Il allait cherché un ami ((c'est son cousin Antoine Du Bord de Pont-Saint-Esprit)) pour le seconder, et tous les trois iraient provoquer en règle ces insolents de La Bastide. Du Bord, toujours subjugué par une volonté plus forte, accepta et le jeune Cabrières galopa jusqu'au manoir d'un gentilhomme de ses amis inconnu des paysans de Goudargues qui le désignèrent dans les témoignages comme un jeune gentilhomme ayant une plume grise à son chapeau. (Chose étrange, le Juge d'Uzès ne crut pas le lendemain devoir recourir à son témoignage.)

 

Pendant ce temps, Du Bord s'était habillé, armé et avait sellé son cheval. Tous les trois au grand galop bondirent sur le chemin de La Bastide.

 

Photo de gauche : Le Château de La Bastide ; lieu du drame.

 

Par cet chaude fin d'après-midi de juillet, tous les paysans étaient sur les aires. Levant la tête au bruit, ils virent passés les trois cavaliers armés fonçant vers le château. Ils reconnurent Du Bord. Alors lâchant leurs fourches, ils se rapprochèrent les uns des autres, pour se concerter à voix basse. Puis, silencieusement, ils coururent s'enfermer chez eux. Les trois chevaux, sabots claquant sur les cailloux du raidillon, débouchaient devant le château. Les quelques manants qui se trouvaient là se volatilisèrent. Volets et portes claquèrent. Il n'y eut plus devant le portail d'entrée que trois cavaliers, caracolant, vociférant des menaces, criant aux La Bastide qu'ils étaient des lâches de s'enfermer chez eux quand on venait les provoquer. Brusquement la porte s'ouvrit, démasquant Louis de La Bastide, Hector de Cadignac et le valet Saint-Jean, tous trois le fusils à la main.

 

Du Bord tira aussitôt : deux balles qui manquèrent de peu leur but et éraflèrent la porte du château. Les autres ripostèrent et pendant quelques instants une fusillade claqua dans la paisible campagne de juillet. Soudain Raymond Du Bord poussa un cri : mortellement atteint, il bascula, tomba de son cheval, tenant toujours son fusil à la main et s'étala à plat ventre, son fusil sous lui, pendant que le cheval partait au galop.

 

Au même moment, une balle atteignit Cabrières à la cuisse une autre blessait son cheval, qui fou de douleur, ventre à terre, à travers champs, emportant un cavalier qui se tenait encore en selle et gémissait de douleur ((deux témoins Baptiste Lacroix et Raymond Laurie, dans leur déposition déclareront que le jeune de Cabrières fut blessé au moment où il rentrait sur la place et descendait de cheval pour aller secourir son beau-père, il fut atteint de plusieurs balles)). Son ami ((son cousin)) partit au galop derrière lui et un brusque silence s’abattit sur la petite place.

 

Les portes du château s'étaient refermées, les manants guettaient, épouvantés, par les fentes de leurs volets. Le corps de Raymond de Sanciergues Seigneur Du Bord, gisait seul dans une flaque de sang.

 

Au bout d'un moment, un voisin se risque à entrouvrir sa porte, quelques autres l'imitèrent et s'approchèrent du corps étendu, pour voir s'il était possible de le secourir. Le chirurgien de Goudargues, appelé par un paysan, accourait sur sa mule. Il s'approcha, se pencha, hocha la tête : rien à faire, Du Bord était bien mort.

 

Cependant Madame Du Bord, toujours escortée du Prieur revenait par la route de St-André. De loin, ils entendirent claquer une fusillade vers le château. Inquiets, ils se hâtèrent vers leur maison : personne – vraiment effrayés, ils remontèrent à cheval et bourrique et les pressèrent vers La Bastide. Bruneau, mieux monté, déboucha le premier sur la place. Il vit le groupe, le groupe, le chirurgien, quelques manants se précipita, poussant des hauts cris.

 

Madame Du Bord cravachant sa bourrique, déboucha du raidillon sauta à terre et courut vers le corps de Du Bord criant : « Ils ont tué mon mari, et ils l'ont dévalisé. » – « Pour cela non, Madame, répondit un témoin, on l'a bien tué, mais on ne l'a pas volé. »

 

Alors Madame Du Bord, qui ne perdait pas longtemps sa présence d'esprit, s'agenouilla près du mort, toujours couché à plat ventre, son fusil sous lui. D'une main preste, elle retroussa la casaque du mort, en tira sa bourse, et l'enfoui dans sa propre poche. Après quoi, car c'était vraiment une femme de tête, elle tira le fusil de dessous le cadavre. D'une experte, elle examina l'arme, constata que les deux canons étaient vides : les deux balles avaient été tirées. Alors elle tendit le fusil à Bruneau et lui donna à mi-voix, l'ordre de le recharger. Subjugué celui-ci obéit, se retira dans une petite maison qui lui appartenait et revint, l'arme une fois chargée. Puis Madame Du Bord glissa le fusil sous le mort : le Juge pouvait venir. Preuve était faite que Du Bord n'avait pas tiré !

 

Le Juge de Goudargues arriva peu après, il constata, dressa son rapport, interdit de ne rien toucher. Une paysanne compatissante sorti de son lit une couverture, et vint l'étendre sur le mort par décence. Puis Madame Du Bord et le Prieur partirent s’enquérir du jeune Cabrières : son cheval était mort et le malheureux jeune homme devait succomber deux jours plus tard des suite de sa blessure.

 

Les paysans silencieux se glissèrent chez eux. Et puis la nuit tomba sur la petite place de La Bastide, où le mort gisait seul sous une couverture.

 

Photo ci-dessus : La porte d'entée principale où eut lieu le meurtre de Raymond de Sancirgues, Seigneur Du Bord.

 

Les Pelegrin estimaient bien avoir agi en état de légitime défense. Ils pensèrent cependant que l'information, qui ne pouvait manquer d'être ouverte, ne serait peut-être tout à fait impartial. Les Juges de la Cour Temporelle du Diocèse d'Uzès ne seraient-ils pas prévenus contre eux par leur qualité de Protestants notoires et turbulents. C'est pourquoi dès la nuit close, les deux frères et leur valet Saint-Jean, à cheval et armés, quittèrent le château. Traversèrent le Rhône à Pont-Saint-Esprit, ils parvinrent à l'aube à Orange, berceau des Nassau, protecteur des Protestants, où les amis ne manquaient pas pour les recevoir, où la Justice du Roi ne pouvait les atteindre. La lecture attentive de la procédure engagée permet de penser, qu'ils n'eurent pas tort de sortir du royaume.

 

Et maintenant, nous entons dans le domaine des chats fourrés et nous allons voir comment un procès pour meurtre se menait au temps de Louis XIV. Nous savons bien que la littérature ce n'étaient les épices, les juges à visiter, le crédit des cousins et des amis, et jusqu'au marteau de la porte qu'il fallait graisser pour entrer. Mais nous sommes habitués à une justice sereine, et notre notion des droits de la défense est si forte, que, quand nous entrons dans les détails précis d'une information en 1694, nous nous arrêtons étonné.

 

Madame Du Bord avait aussitôt porté plainte tant pour elle que pour son fils. Enquête immédiate fut faite. Cabrières qui devait mourir le lendemain put encore parler. Sa déclaration chargea à fond les La Bastide : il passait à cheval devant le château avec son beau-père et son ami. Soudain , par le fenêtres sans provocation, on avait tiré sur eux sans qu'ils aient même essayé de riposter.

 

Ces affirmations se révélèrent contraires à celles des témoins, tous pourtant cités par la plaignante. Évidemment, les Pelegrin en fuite ne purent citer ceux qu'ils auraient pu présumer leur être favorables. Quand au Juge d'Uzès, il ne crut pas de son devoir d'en appeler lui-même.

 

Après les dépositions, vinrent les recollements. Mais jamais une question ne fut posée par le Juge. C'est ainsi que Bruneau ayant déposé, aucune question ne lui fut posée sur le fusil que deux témoins l'avaient vu recharger.

Aucune descente sur les lieux où pourtant deux échancrures dans la pierre du château témoignaient des balles tirées par Du Bord.

 

Tous ces témoins étaient des paysans qui auraient bien voulu ne rien dire. Il fut cependant nécessaire d'expliquer ce qu'ils avaient vu par la fente de leurs volets – Bien mal – d'ailleurs, car, à côtés de détails futiles, (l'un d'eux Louis Coste avait vu par une lucarne de trois tiers de pan en carré ; un autre : c'était le jour où j'étais venu manger des pois chiches chez mon beau-frère), les renseignements sur l'heure, le nombre de coups de feu, l'attitude des Du Bord, quels Pelegrin avaient tiré, sont étrangement incomplets. L'un d'eux affirme pourtant que les coups de feu de Du Bord précédèrent les autres.

 

On peut supposer certes, que les témoins ne désiraient pas charger leur seigneur, mais il n'en reste pas moins que pour le juge, un fait était patent : les deux victimes avaient été tuées par les Pelegrin. La question de légitime défense ou au moins de provocation ne l'intéressait pas. Peut-être le juge pensait-il que le jugement serait rendu par défaut et que l'opposition permettrait un complément d'information.

 

Quoi qu'il en soit, l'affaire fut très rapidement menée et, le 7 octobre 1694 la Cour Temporelle condamnait par défaut Louis de Pelegrin, Seigneur de La Bastide et Hector de Pelegrin, Sieur de Cadignac, à avoir le col tranché et le nommé Saint-Jean leur valet, à être pendu par le bourreau jusqu'à que mort naturel s'en suive. ((Quelques jours plus tard cette condamnation fut confirmé par le Sénéchal de Nîmes.))

 

Photo ci-dessus: La Cathédrale d'Uzès et sa Cour Temporelle de Justice ou fut condamné à mort par défaut les de Pelerin et leur valet Saint-Jean.

 

Les trois condamnés se portaient fort bien. Ayant travers Orange et le Dauphiné, ils respiraient l'air de la liberté en Savoie chez un ami.

 

Il fallait pourtant sortir un jour ou l'autre de cette situation. Madame de La Bastide, craignait, non sans raison, des représailles dans son château isolé, s'était transportée avec sa fille domesticité à Bagnols où elle avait une maison. Elle y prit la direction des opérations pour sauver son mari et son beau-frère.

 

Grâce à Dieu, on ne manquait pas d'amis à Nîmes, au Présidial et à Montpellier dans les bureaux de l'Intendant. Elle prit conseil et voici comment la situation apparut.

 

Trois issues possibles : d'abord faire opposition au jugement d'Uzès. C'était dangereux. Pour pouvoir formuler l'opposition, les condamnés devaient d'abord aller se rendre dans les geôles Uzétienne. Dès lors, si le jugement était confirmé, son exécution pouvait être rapide, avant qu'on est eu le temps de faire agir en haut lieu. Donc solution à rejeter. Restaient les deux autres qui toutes deux impliquaient un recours au Roi. Le mieux (deuxième solution) serait d'obtenir la cassation du jugement avec renvoie devant le Présidial de Nîmes. Si c'était impossible, restait la troisième solution : supplier humblement sa Majesté d'accorder leur grâce aux condamnés.

 

De toute manière, il fallait agir à Versailles grâce à l'appui des nombreux parents que les La Bastide avaient à la ville de la Cour. 

 

Qui irait à Paris : Louis de Pelegrin était le plus compromis ; chef de famille, ennemi personnel de Du Bord, opposant notoire à l’Évêque d'Uzès ; pour lui, se risquer en France, avec une condamnation à mort prononcée contre lui, c'était vraiment trop dangereux.

 

Il fallait donc envoyer son Cadet Hector, moins en vue. Avec quelques précautions, il ne risquait rien. Hector de Cadignac partit donc pour Paris.

 

Un condamné à mort qui se rend tranquillement à Paris pour discuter son cas avec la justice, voilà qui nous surprend quelque peu. Mais le tout était de respecter les formes. La mère ((belle-sœur)) d'Hector de Cadignac était une La Tour du Pin Gouvernet, parente des Turenne. On n'allait tout de même pas envoyer des exempts chez un grand seigneur pour se saisir par force d'un de ses cousins et le traîner en Place de Grève. Ce sont des choses qui ne se font pas ! Il suffirait donc de rester clos en quelque hôtel, de ne point trop se montrer, et de garder une semi-clandestinité. Tout irait bien.

Toute la famille Parisienne, au courant de l'affaire, accueillit fort bien Hector. Peut-être n'était-elle pas ravie de voir arriver ce cousin de Province qui débarquait avec de grosse bottes, parlait fort avec l'accent du Midi, manquait totalement de manière et ne comprenait rien à rien.

 

Mais on n'allait pas laisser un La Tour du Pin se faire trancher le col : la morale, le bon ton, tout s'y opposait, et la famille et amis, on se mit en campagne.

 

Hector, lui voyait l'affaire toute simple : il fallait rédiger un placet (une lettre), exposer son affaire, supplier le Roi de rendre Justice à deux gentilshommes de bonne Noblesse qui l'avaient toujours fidèlement servi sur les champs de bataille et que les circonstances avaient contraint de défendre leur vie attaquée par des insolents. Puis, il irait à Versailles, un de ses beaux cousins le présenterait au Roi et avec sa plus belle révérence, il remettrait son placet à Sa Majesté.

 

Grands Dieux ! Les cousins en frémirent. Aller à Versailles après une condamnation de la Cour d'Uzès, c'était vraiment narguer l'autorité Ecclésiastique. Madame de Maintenon ne pourrait manquer de la savoir... et...

 

Du reste, il s'agissait d'un procès instruit et jugé par une Cour de Justice. Dans ce cas, toute supplique devait être rédiger par les bureaux de la Chancellerie. Cela signifiait que ses Messieurs devaient exposer l'affaire en style administratif, en remplir des pages et des pages, que Mr le Chancelier écrirait « Avis favorable » et que le dossier passerait alors au Cabinet du Roi. La signature ne serait plus qu'une formalité.

 

C'est donc des bonnes grâces de Mr le Chancelier qu'il fallait assurer. La chose n'était pas tellement difficile. On avait quelques moyens de l'approcher. Et Hector peut écrire à Bagnols :  « Mademoiselle de Challes est allée parler à Madame la Chancelière qui a promit de s'en occuper. Monsieur ne refusera donc pas un avis favorable... ».

 

Restaient à faire rédiger la supplique par les bureaux et là, Cadignac découvrait un monde inconnu : ces robins, ces plumitifs, ces gens de loi qu'à Goudargues on faisait bâtonner par les valets...eh, bien pas du tout, c'étaient des gens puissants qu'il fallait ménager et auprès desquels on devait se procurer des appuis.

 

On mit Hector en rapport avec Monsieur de Mayet avocat et monsieur Bouchet, secrétaire du Chancelier ; tous deux avaient des obligations à la famille La Tour du Pin, tous les deux avaient leurs entrées dans les bureaux et des amis un peu partout.

 

Hector selon les instructions de sa belle-sœur déclara qu'il voulait obtenir la cassation du Jugement. Il n'avait pas tort : une ordonnance réservait aux Présidiaux la connaissance des poursuites contre les nobles. Une fois renvoyée devant le Présidial de Nîmes, l'affaire s'arrangerait très vite. On y avait des amis. Il n'avait pas tort. Mais en principe seulement, car Messieurs Mayet et Bouchet levèrent les bras au ciel : « Mais c'est impossible, c'était de la folie, le Roi ne consentirait jamais à une Cassation. Ils ajoutèrent : « Tout le crédit de Madame de Maintenon et de Monsieur de Bontemps ne s'aurait l'obtenir. »

 

Hector commençait à comprendre : seul, comptait le crédit de ceux qui pouvait intervenir. Et il écrit : « Hélas, en Province, on croit les choses faciles, mais quand on est ici, on y trouve de la difficulté. »

 

Et le lendemain : « Après toutes les démarches déjà faites on n'obtiendra jamais cette abolition, eut-on tout le crédit des grands et tout l'argent de la Province. Mais pour la grâce, on peut l'obtenir en peu de jour. »

 

On se résigna à la demander. Là aussi il fallait que l'affaire fut exposée par les bureaux. Mais là, Messieurs Mayet et Bouchet firent merveille. Quelques épices furent distribués et assez vite, la supplique fut rédigée avec l'avis favorable du Chancelier. »

 

Mais, catastrophe ! Les lettres de grâce devaient être enregistrées. Les Pelegrin espéraient bien les faire enregistrer par le Présidial de Nîmes où tout ce passerait vite et sans frais. Mais voilà que la supplique portait que les lettres de grâce seraient enregistrées par le Parlement de Toulouse. L'avocat écrit à son client : « L'affaire est bonne partout, mais les dépenses en seront plus grandes à Toulouse. »

 

En principe, l'enregistrement était pure formalité. Mais le Parlement devait s'assurer que tout était régulier, qu'il n'y avait pas de vices de forme... et, si le rapporteur de la cause avait l'esprit chicanier, si, en outre, comme au Parlement de Toulouse, on était l'adversaire des Protestants en général, et des Pelegrin en particulier, eh bien, on pouvait faire durer l'affaire et pousser bien haut les épices.

 

Hector de Cadignac est pris entre deux feux : les difficultés infinies que font surgir les bureaux et les lettres fulminantes de sa belle-sœur qui ne veut pas de Toulouse, qui ne comprend rien et pis que tout, lésine sur la dépense.

 

Il fallait tout pour convaincre : « Monsieur Bouchet et Monsieur l'Abbé de Montaurier sollicitent pour nous. Madame Mayet fait agir le Marquis de Vieuxbourg. On croit dans la Province que tout est facile, mais Monsieur Bouchet vous dira, dans peu, la peine qu'il y a dans ce qu'on demande. » Et il ajoute mélancoliquement : « Dans ce pays, on n'obtient rien qu'avec beaucoup d'amis et beaucoup d'argent. »

 

En même temps, les nouvelles de Goudargues apportaient au pauvre émigré à Paris d'autres sujets de préoccupation. Ici nous retrouvons un grand coup de vent du Rhône. Les Pelegrin étant en fuite, et, Madame de La Bastide retirée à Bagnols, Madame Du Bord se trouvait à Goudargues maîtresse de la situation et son arrogance ne connaissait plus de bornes. Elle garde chez elle, malgré son veuvage, l'Abbé Bruneau, ce qui scandalisa même les anciens Catholiques qui l'avaient soutenue jusqu'alors. Puis, ne se sentant pas en sécurité au milieu de cette population hostile, elle fit venir un spadassin ((tueur)) à gages, et le logea chez elle. Dans les lettres du moment ce spadassin est nommé : « l'étranger ». Terme péjoratif bien révélateur. A Goudargues on pouvait bien ce déchirer entre voisins, mais un étranger, c'était l'ennemi de tous. Cet étranger disait appartenir à la Compagnie des Gardes du Corps et portait un vague uniforme.

 

Madame Du Bord tint à marquer son avantage. Un dimanche, on la vit sur la place, Bruneau à sa droite, le spadassin à sa gauche, l'air arrogant, feutre en bataille, une rapière soulevant son justaucorps. Les passants s’arrêtèrent pantois. Puis on entendit un ricanement. Deux doigts impérieux, Madame Du Bord désigna l'insolent. Alors en trois pas, l'étranger fut sur lui, le saisit aux oreilles, le secoua, et d'un coup de botte, l'envoya à terre. Ensuite tirant sa rapière (épée longue et fine), il la fit tournoyer. « Si quelqu'un veut en tâter, il n'avait qu'à s'avancer. » Terrorisés, les passants s'enfuirent ; la même scène se renouvela, la population parlait de s'armer, et le Juge, épouvanté en écrivit à l'Intendant.

 

Bien entendu, Madame de La Bastide, mise au courant l'écrivait à Cadignac qui rongeait son frein. « Ah ! Être à Goudargues, ferrailler avec ce malotru et lui envoyer un bon coup d'épée, au lieu de moisir dans les salons Parisiens. »

Plus pratique, il écrivait cependant : « Monsieur le Maréchal de Duras est allé voir le Capitaine des Gardes du Corps. Cet étranger n'appartient à aucune compagnie. Informez-vous s'il avait sa bandoulière, car nous aurions alors une lettre de cachet et cela pourrait aller jusqu'à la corde. »

 

Laissons Goudargues et revenons aux bureaux. Madame de La Bastide avait des oreilles dans ceux de Montpellier. Elle apprit que son adversaire avait cherché appui auprès de ses cousins de Lussan, auprès du Parti Catholique où les Pelegrin avaient bien quelques ennemis, auprès de l’Évêque d'Uzès surtout, qui trouvait mauvais qu'une condamnation prononcée par la Cour risquât de ne pas être exécutée. Elle apprit aussi que le Chancelier, pris d'une hésitation avait écrit à Bâville, pour lui demander quelques autres éclaircissements. Elle alerta aussitôt son cousin de La Baume Conseiller à Nîmes qu'il était le mieux du monde avec l'Intendant. Mail il fit savoir à Madame de La Bastide qu'il serait bon de se hâter pour gagner de vitesse leurs ennemis. Il fallait obtenir les lettres de grâce avant que la réponse de Bâville n'atteigne Versailles. En toute hâte un courrier fut dépêche vers Paris avec une lettre et quelques louis de plus s'ils s'avéraient nécessaire. Dès réception, Cadignac craignait le pire, il convoqua au plus vite Monsieur Mayet. Il fallait faire immédiatement tenir ces lettres de grâce au Cabinet du Roi. Déjà préparées et apostillée par le Chancelier, elles avaient été retenues dans les bureaux car elles portaient mention d'un enregistrement à Toulouse. Tant pis, il fallait en passer par là.

 

Monsieur Mayet roula à grande allure sur la route de Versailles. Il fit merveille, tant par ses amis que par l'or qu'il distribua. Dès le lendemain, les lettres passaient au Cabinet du Roi et dans la soirée, étaient signées « Louis ».

 

Voila donc Cadignac et ses lettres en poche ((datés du 10 mars 1695)) qui reprend le chemin du Midi. Quelle joie de galoper sur la route. Un peu inquiet cependant : il faut rendre des comptes à l'impérieuse belle-sœur.

 

Il écrit assez piteusement ((25 mars 1695)) : « il vous en a coûté 939 livres. Vous trouverez peut-être, qu'il y a eu beaucoup de frais, mais il y aurait eu deux fois plus sans nos amis. »

 

Et Madame de La Bastide mande la nouvelle à Verfeuil : « Cadignac me marque les peines et les frais qu'il a eu. Voyez quel malheur et quelle dépense il faut essuyer pour devenir libres. »

 

Gravure ci-dessus : La ville de Toulouse au XVIIe siècle (Archives de Toulouse).

 

Restait l'enregistrement par le Parlement (de Toulouse). Hector passa en Savoie où son frère résidait toujours. Tous deux se concertèrent. Qui irait à Toulouse ? Hector avait tâter des bourreaux et n'en voulait plus. Du reste son excuse était excellente. Toulouse l'avait déjà condamner à mort pour cette vieille affaire de duel. Avec une deuxième condamnation à mort se présenter devant ses Messieurs...Pour le moins , il ne serait pas « Personna Gratta ».

 

Louis irait donc à Toulouse où il comptait bien quelques amis mais pas un seul au Parlement. On le lui fit bien savoir. Il dut se constituer prisonnier dans les geôles du Château Narbonnais. Puis ce fut un véritable procès où il soutint la maxime : « Défendor propriae salutis in nullo pecasse videtur. » (il semble que rien que j'avais pêché contre le défenseur de son propre bien-être). Sa patience fut mise à l'épreuve , sa bourse aussi, car ses louis se transformaient en épices. Mais enfin en 1695 ((22 août)), Pelegrin, les lettres bien et due-ment enregistrées repris allègrement la route, vers le Rhône, laCèze, le bon pays où on est chez soi.

 

Il fallait encore régler les comptes avec la Dame Du Bord. Les lettres de grâce n'avait pas supprimé les condamnations pécuniaires à des dommages et intérêts. Les Pelegrin devaient payer 2 264 livres. Mais le jugement d'Uzès était par défaut. Il était donc susceptible d'opposition et appel. Les Pelegrin utilisèrent toutes les ressources de la procédure pour faire annuler la décision. S'ils n'y parvinrent pas, ils réussirent du moins à gagner du temps et pendant cinq ans, procureurs et avocats, juges et conseillers se penchèrent sur des grimoires que Rabelais n'aurait pas désavoués.

 

Penchons-nous pour terminer sur un détail piquant. La Dame Du Bord avait fait une erreur ; sur le vu de la décision d'Uzès, elle avait fait saisir les biens fonds et bestiaux. Erreur : il n'y avait pas autorité e chose jugée. Pelegrin une fois libre s'empressa de faire casser la saisie. Coût : 94 livres et, à son tour, il fit une saisie. Sur ses indications, un sergent et huit huissiers se rendirent à la maison Du Bord pour y exécuter avec un grand concours de badauds une joyeuse saisie.

 

Voilà le récit qu'en fait Madame Du Bord dans une supplique au Sénéchal ((de Nîmes le 2 mars 1696)) : « Le Sieur de Pelegrin obligea ses hommes de faire une saisie, la plus violente qui fut jamais. Il leur fit enlever onze tonneaux pleins de meilleur vins de la Province et ne voulut pas le laisser dans la maison, nonobstant qu'il ne fut plus de tirer le vin, sans le faire tourner et perdre. Néanmoins, il fit porter dans la maison de Lavie, établir pour séquestre Vignal et Quittard, trois misérables pieds poudreux (soldat abandonnant tous régiments auquel, il appartenait), et fit transporter le vin par des gens qui y crachaient et y faisaient des ordures, le buvaient et le répandaient, ce qui causa un dommage de plus de 700 livres. »

 

On plaida sur l'abus de la saisie pendant trois ans, pendant que le procès principal se poursuivait pendant cinq ans. Cependant à Goudargues, biens des choses avaient changé. Le Prieur Bruneau, à cause du scandale résultant de ses relations avec la veuve Du Bord et l'étranger (le spadassin), avait été mis en demeure par l’Évêque de quitter Goudargues. En 1697 par devant Guiraud Notaire, Bruneau résilie son bénéfice de Prieur de La Bastide d'Orniols entre les mains de l'Abbé de Lussan prieur Commandaire de Goudargues.

 

Catherine de Saint-Martin, la veuve, malgré une maturité avancée et un caractère inquiétant, trouva un remplaçant au pauvre Du Bord et épousa en troisième noces Joseph de La Fare, Seigneur de Saint-Auban, et partit vivre sur les terres de son nouvel époux.

Le temps fit son effet, les adversaires se calmèrent et un dernier acte notarié ((par Me Furnat)) signé à Saint-Michel-d'Euzet le 22 avril 1700 (( dans la maison de Mathieu Carbonnier, Praticien)) portait enfin une quittance de toutes les indemnités.

 

Les La Bastide restaient donc seuls maîtres du champ de bataille, la paix retomba sur Goudargues et dans ses rues désormais tranquilles, on n'entendit plus chanter :  « Garde tes moutons, bergère, garde tes moutons. »

 

Récit sur Mémoire de l'Académie de Nîmes 1968-1970 pages 60 à 85.

 

Note : entre parenthèse annotation de l'auteur, et double parenthèses les miennes et ceux de T. Bouzige Curé de Tresques ((sur le Bulletin du Comité de l'art Chrétienne, Diocèse de Nîmes, Année 1886))

 

L'auteur de ce récit, nous dit point ce qui advint du Valet Saint-Jean.

 

Nota Complémentaire :

 

Sur les Pelegrin :

 

Le 12 Mars 1568 (Julien) acte notarial de Jacques Pelegrin, Seigneur de La Bastide d'Orniols, Réformé a ses frère et sœurs Jean, Gabrielle et Anne de Pelegrin (AD 30 2 E 14/347)

 

Jean de Pelegrin devient en 1596 possesseur de toute la Justice de Goudargues.

 

Au XIXe siècle le fils du Ministre Guizot, qui après avoir épousé la fille du Vicomte de Flaux, devient propriétaire et exploite le Château et les terres de La Bastide d'Oriols.

 

Les Pelegrin sont Seigneur de la Bastide, d'Ussel, de Cadignac, de l'Isle et coseigneur de Goudargues.

 

 

Les Seigneurs de La Bastide d'Orniols depuis 1529 :

 

Jean 1er François Pelegrin devint le premier Seigneur de sa lignée suite a son mariage en 1529 avec l'héritière de cette seigneurie Damoiselle Jeanne de Malbuisson, fille de Pons d'Oriole d'où :

 

a) Jacques de Pelegrin, Seigneur de La Bastide

b) Jean II de Pelegrin marier le 7/9/1567 (julien) avec Gabrielle de Saint-

es Seigneurs de La Bastide d'Orniols depuis 1529 :

 

Jean 1er François Pelegrin devint le premier Seigneur de sa lignée suite a son mariage en 1529 avec l'héritière de cette seigneurie Damoiselle Jeanne de Malbuisson, fille de Pons d'Oriole d'où :

 

a) Jacques de Pelegrin, Seigneur de La Bastide

b) Jean II de Pelegrin marier le 7/9/1567 (julien) avec Gabrielle de Saint-Bonnet. Gabrielle citée veuve le 5/1/1602 ; fille d'Antoine du Caylar Saint-Bonnet, Seigneur de Montferrier et autres places et de Gabrielle de Rochemaure.

C) Gabrielle Pelegrin

D) Anne de Pelegrin

     

    Jean III de Pelegrin (fils de Jean II et Gabrielle) marié le 9/7/1593 (julien) avec Marie d'Augier

     

    Antoine-Pierre de Pelegrin, Seigneur de Goudargues, marié le 25/6/1624 avec Lucrèce de la Forest, fille d'Alexandre de Forest Seigneurs Blacons, Mirabel et autres places et de Marguerite de La Tour-Gouvernet.

     

    Alexandre de Pelegrin marié le 26/8/1652 avec Jeanne de Bastide, les parent de Louis et d'Hector.

     

    Louis de Pelegrin marié en 1684 avec Marguerite de La Tour du Pin de Gouvernet (les protagonistes de ce récit), d’où

     

    Jeanne de Pelegrin marié en 1716 avec René de Juge, baron de Cadoine d'où

     

    Marie-Anne de Juge mariée à François de Cadolle... puis la seigneurie passa par mariage au de Voguë, puis au Vicomte de Flaux... 

     

    14 janvier 1670 Noble Louis de Pelegrin, Seigneur de La Bastide, Hector de Pelegrin Sieur de Cadignac, Charles Pelegrin Sieur de l'Isle et autre Louis de Pelegrin Sieur du Cel, tous du Diocèse d'Uzès sont confirmés dans leurs titres de Noblesses, par jugement souverains (Catalogue général des gentilshommes de la Province du Languedoc).

     

    Sur les Audibert de Lussan :

     

    Demoiselle Esther d'Audibert de Lussan, était Dame et Abbesse du Couvent de Bagnols, de Valsauve et Prieuresse de Verfeuil au XVIIe siècle.

     

    En 1607 le Seigneur de Lussan avait racheté aux Pelegrin pour le prix de 1 200 livres l'autre moitie de la Seigneurie de Goudargues avec sa juridiction haute, moyen et basse.

     

    Article réécrit par Denis Cazorla le Lundi 2 Octobre 2017

    Armoiries de Goudourgues

     

    Partager cet article
    Repost0
    Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
    Commenter cet article