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L'HISTOIRE POUR TOUS

Ecrire et faire aimer l'histoire

L’Histoire pour Tous N° 51 : Jeanne d’Arc a-t-elle survécu ?

 

L'affaire de la fausse Jeanne

1) La Mort de Jeanne d'Arc :

En 1436, cinq ans après le supplice de Jeanne d’Arc sur le bûcher à Rouen, une rumeur met le pays en émoi : la Pucelle de France serait toujours vivante !

Lorsque l’on étudie les comptes rendus de l’exécution de Jeanne d’Arc, rédigés par des chroniqueurs contemporains de l’événement, toute évasion paraît invraisemblable. Le mercredi 30 mai 1431, selon les sources, entre 700 et 800 Anglais armés de haches et d’épées se sont déployés sur les lieux de son supplice, afin de décourager toute tentative d’arracher la Pucelle à son destin. Le bûcher, dressé bien en vue au centre de la place du marché de Rouen, s’élevait à une hauteur de 3 mètres. Ainsi, lorsqu’elle monta sur cette estrade funeste, chacun put s’assurer qu’aucune substitution n’était possible.

A 9 heures du matin, la foule, rapportent tous les témoins de l’époque, fut saisie de compassion en voyant s’avancer cette fille de 19 ans, encadrée par un bataillon de 80 gardes. Elle était revêtue d’une robe trempée de soufre et coiffée d’une mitre sur laquelle on avait inscrit quatre mots infamants : «hérétique», «relapse» (c’est-à-dire hérétique récidiviste), «apostat» (qui a renié la foi chrétienne), et «idolâtre». La suite est connue : Jeanne demanda un crucifix, et l’on alla lui en chercher un dans l’église Saint-Sauveur toute proche. Elle se mit à prier tandis qu’on la liait. Puis, au moment où le bûcher s’embrasait, on l’aurait entendu appeler à six reprises Jésus.

Ce que l’on sait moins, ce sont les infinies précautions que prirent ensuite les Anglais pour s’assurer qu’elle avait bien péri dans les flammes. Jean Riquier, curée d’Heudicourt, près de Péronne, et présent à Rouen en mai 1431, rapporte une scène étonnante : «Les Anglais, redoutant qu’on ne fît courir le bruit qu’elle s’était échappée, ordonnèrent au bourreau d’écarter un peu les flammes pour que les assistants la pussent voir morte.» Ayant vérifié que Jeanne d’Arc avait bien cessé ce vivre, ses bourreaux la placèrent à nouveau sur le brasier pour achever la crémation. Enfin, ils allèrent répandre ses cendres dans la Seine, afin d’ éviter que ses reliques ne deviennent un objet de ferveur.

Et pourtant, cinq ans plus tard, le 20 mai 1436, dans le village de La-Grange-aux-Ormes, près de Metz, à une centaine de kilomètres de Domrémy, une jeune femme brune d’environ 25 ans, de petite taille, vive, énergique, se présente et déclare être… la Pucelle en personne !

D’où vient-elle ? Comment a-t-elle survécu aux flammes du bûcher ? Que faisait-elle pendant toutes ces années ? Elle reste évasive et ne répond à ces questions que par des paraboles.

Portrait ci-dessus : Claude, la fausse Jeanne d'Arc 

2) On parle de la réapparition de Jeanne d’Arc jusque dans le Midi de la France :

Aussi incroyable que cela paraisse – et nonobstant le fait que l’inconnue se prénomme Claude – de nombreuses personnes la reconnaissent, parmi lesquelles d’anciens compagnons d’armes de la Pucelle. C’est le cas de Nicole Louve, un chevalier de Metz qui avait croisé Jeanne lors du sacre de Charles VII, le 17 juillet 1429, à Reims. Ce dernier, convaincu qu’il s’agit bien d’elle, lui offre un cheval et des jambières. Un autre lui fait don d’une épée. Encore plus probant : deux frères de Jeanne d’Arc, Pierre et Petit-Jean, arrivent à La-Grange-aux-Ormes :

«Ils croyaient qu’elle avait été brûlée. Quand ils la virent, ils la reconnurent et elle les reconnut aussi», raconte le doyen de Saint-Thibaud de Metz dans ses chroniques rédigées une dizaine d’années après les faits.

Au début du mois de juin 1436, Claude s’installe à Marieulles, entre Metz et Pont-à-Mousson, avec ses frères. La foule se presse à sa porte pour lui offrir des présents.

Dans le même temps, la nouvelle de ce stupéfiant retour a largement dépassé les frontières de la Lorraine. On parle de la réapparition de Jeanne d’ Arc jusque dans le Midi de la France. Comme le prouve un acte notarié, daté du 27 juin 1436, prenant note d’un pari entre deux habitants d’Arles. L’un soutient que la Pucelle est morte brûlée à Rouen, l’autre qu’elle est de retour à Metz.

Claude est-elle une affabulatrice ? Les usurpations d’identité ne sont pas rares à l’époque : on a recensé trente-cinq imposteurs ayant tenté de se faire reconnaître comme roi ou empereur à la fin de l’époque médiévale. Il était encore plus aisé de se faire passer pour Jeanne d’Arc dans une région où on l’avait à peine aperçue… Il est vrai qu’il n’existait alors aucun portrait de l’héroïne de la Guerre de Cent Ans. Le chevalier Nicole Louve l’avait certes aperçue en juillet 1429 au couronnement de Charles VII, soit sept ans plus tôt, mais rien ne dit qu’il l’avait vue de près. Quant à ses frères, ils ont pu être aveuglés par le désir de revoir leur sœur en vie à moins qu’ils aient été des complices. D’ailleurs, après cette date, Pierre et Petit-Jean disparaissent de l’histoire. A peine retrouvera-t-on mention, au mois d’août 1436, du passage de Jean à Orléans où il se fait remettre une somme d’argent pour «s’en retourner par-devers sa dite sœur».

3) En juillet 1439, la prétendue Pucelle est accueillie à Orléans avec fastes et banquets : 

Claude, quant à elle, ne reste pas longtemps dans la région de Metz. Le 24 juin 1436, elle part en pèlerinage à Notre-Dame-de-Liesse, près de Laon. On la retrouve en juillet, à Arlon, à la cour du duché du Luxembourg où le comte de Vinenbourg la prend sous sa protection et lui offre une armure.

Le mois suivant, elle est à Cologne. Toujours habillée en homme, elle boit et danse en compagnie des soldats et se hasarde même à quelques malencontreux tours de magie. Ses frasques attirent l’attention de l’inquisiteur de Cologne, Henri de Kalteisen (1390-1464), qui décide de la poursuivre pour hérésie ; Claude doit fuir l’Allemagne pour échapper au procès.

De retour à Arlon, elle se marie en novembre 1436. Son époux est Robert des Armoises (1388-1450), un homme âgé et désargenté, mais qui peut lui offrir un nom et lui permettre de s’acheter une respectabilité. Le couple s’installe à Metz. Lassée de la vie conjugale, Claude aurait-elle repris le cours de ses aventures ? C’est fort probable. Car trois ans plus tard, début 1439, on trouve mention d’«une appelée Jeanne qui se disait Pucelle» avec le grade de capitaine dans les troupes royales qui se battaient alors dans le Poitou.

 

Portrait ci-dessus : Robert des Armoises (1388-1450)

Elle refait encore surface en juillet de la même année, cette fois à Orléans, où elle est accueillie avec fastes et banquets. Pour la remercier d’avoir jadis délivré la ville de l’occupation anglaise, on lui remet la somme de 210 livres (soit l’équivalent de trois ans de salaire d’un manœuvre). Pourtant, tout le monde ne semble pas convaincu : si une partie des Orléanais reconnaît en elle leur libératrice, la ville continue par ailleurs de célébrer les services funèbres à la mémoire de Jeanne d’Arc morte sur le bûcher à Rouen. Étrange paradoxe !

4) Claude se serait jetée au pied du souverain Charles VII pour avouer sa supercherie :

Après avoir profité des largesses de la cité johannique pendant deux semaines, Claude fausse précipitamment compagnie à ses hôtes le 1er août 1439, lors d’un repas, et cela «avant que le vin fût venu», comme le précise la chronique. Craignait-elle de croiser Charles VII dont l’arrivée à Orléans était prévue dans le courant du mois d’août ? Un texte tardif, écrit en 1516 d’après les confidences d’un garde du corps du souverain, le seigneur de Boissy, fait pourtant le récit d’une entrevue entre la présumée Jeanne et le monarque. Charles VII aurait accueilli la guerrière avec ces mots :

«Pucelle ma mie, soyez la très bien revenue, au nom du secret qui est entre vous et nous.» Claude, ignorante de ce secret que partageaient le roi et la Pucelle, se serait alors jetée aux pieds du souverain pour avouer sa coupable supercherie.

Au même moment, le parlement de Paris a diligenté une enquête sur elle. En septembre 1440, elle est finalement jugée et condamnée au pilori. Elle est alors attachée et livrée à l’opprobre de la foule dans la grande cour du Palais du Parlement (actuel Palais de justice). A cette occasion, quelques éléments de sa biographie apparaissent. Claude serait allée à Rome, probablement en 1433, pour faire pénitence après avoir frappé sa mère. Là-bas, elle se serait engagée en tant que mercenaire auprès du pape Eugène IV – c’est sans doute là qu’elle a fait ses armes –.

En ce temps-là, il existait des femmes de guerre en Italie, il est possible qu’elle ait été en contact avec elles. On connaît deux d’entre elles, Bianca Brunoro et Maria de Pozzuoli, des amazones qui combattaient en armure et qui ont pu faire naître une vocation chez Claude.

Photo ci-dessus : Le Petit Courrier d'Angers en date du mardi 21 mai 1912

Après l’humiliation publique du pilori à Paris, on ignore ce qu’il advient de Claude par la suite.

Sources :

Journal du bourgeois de Paris est une œuvre anonyme écrite par un Parisien entre 1405 et 1449

Chronique de Metz, d’Orléans, Paris est autres

Le Petit Courrier d'Angers en date du
mardi 21 mai 1912

A Nîmes, le dimanche 24 mai 2020

Cazorla Denis

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